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L'Homme est-il un grand singe politique ?

Pascal PicqL’Homme est-il un grand singe politique ?, Odile Jacob, 2011 (lecture, mars 2012)

Ce dernier ouvrage de Pascal Picq porte en sous-titre : « Essai de primatologie et de pataphysique ». Avant d’aborder l’analyse de cet essai, il est utile de rappeler ce qu’est la pataphysique. Ce terme et le concept qu’il couvre ont été créés par Alfred Jarry. Ils se définissent comme étant une parodie de la théorie et des méthodes de la science moderne, une « science des solutions imaginaires ». Les propos de la pataphysique sont souvent proches du non-sens ou sont démontrés par l’absurde.

 

Dans son livre, notre maître de conférences à la chaire de paléoanthropologie et préhistoire du Collège de France, fait un parallèle entre la politique des singes et celle des hommes ; il veut démontrer que les jeux de pouvoir des uns et des autres se rejoignent sur bien des points.

 

D’entrée de jeu, Picq défini l’éthologie comme étant « l’étude du comportement des individus appartenant à des espèces autres que l’homme et vivant dans leur milieu naturel », et avec son regard de scientifique, il observe que « contrairement à l’éthologie, la politique concerne plus les comportements que l’éthique » et de ce fait, il en fait une sous-discipline de l’éthologie, science de l’observation.

Après cette mise au point, notre auteur donne les raisons qui l’ont poussé à écrire cet ouvrage :

 

« Cet essai vise à décrire les origines naturelles de la politique. Si Aristote revenait sur Terre, il serait effaré de la médiocrité de nos arènes médiatiques, l’Agora s’étant effacée devant des écrans de télévision aussi plats que les discours et les programmes, où les leaders ne font plus l’opinion, mais la suivent. Sondages et déclin de la politique ; leadersheep et non plus leaderchimp. Que devient la politique s’il n’y a plus de discours qui dépasse « les promesses qui n’engagent que celles et ceux qui les écoutent » et les « moi, je vais te dire » ? La réponse est simple : on en revient à de la politique sans logos ; c’est là qu’il devient intéressant de retrouver les maîtres du genre : les chimpanzés ! ».

 

(Leader « qui dirige » et ship « bateau » ou « gouvernail » ; sheep « mouton » ; chimp pour « chimpanzé »).

 

Le ton est donné ! Et de continuer à présenter ce que sera son essai :

 

« Avant de découvrir notre planète des singes (politiques), nous partirons donc dans un prologue sur ce qui aurait très bien pu être l’évolution sur la Terre entre un passé trop peu connu et un futur plein d’inconnu.

Puis, nous entrerons au cœur de ce livre avec la partie intitulée « Homo politicus et les singes ». Nous irons ainsi à la découverte de notre planète des singes et des grands singes, mais à partir des hommes, exercice original d’éthologie et de politique inspiré des quelques personnalités et partis politiques français. Ce sera une façon inédite de découvrir l’éthologie, en attendant le droit de vote du peuple singe (et d’éventuels procès du singe). […]

La deuxième partie nous ramène sur le terrain de l’éthologie et de la politique avec les grands singes les plus doués, mais aussi les plus machiavéliques et parfois les plus démoniaques : les chimpanzés. […]

La troisième partie nous entraînera dans le monde des fables, celles de La Fontaine bien sûr, mais aussi d’autres régions du monde, comme l’Asie orientale et ses grandes légendes. […]

Nous terminerons […] par un regard anthropologique sur la « modernité » des pratiques politiques actuelles. Même au sein de nos démocraties, elles véhiculent des archaïsmes, des oppressions et des violences qui, pour le coup, n’ont rien à voir avec les chimpanzés » (pp.15-16).

 

« Les chimpanzés, qui ne sont pas nos ancêtres mais nos frères d’évolution, nous permettent d’esquisser le profil politique de notre ancêtre commun, et donc des origines de la politique » (p. 16).

 

Il conclut sa présentation de manière humoristique :

 

« En attendant la planète des singes, entrons gaiement dans cet essai d’anthropologie évolutionniste de la politique » (p. 17).

 

Dans son prologue, Pascal Pick analyse le roman de Pierre Boule, « La planète des singes », qui est à la fois un roman dystopique et dioptique. « La dystopie s’oppose à l’utopie et la critique en développant une vision sombre du futur ».

 

« […] l’utopie situe l’homme dans un lieu dénué de toute évocation de la nature, ce qui l’entoure n’étant qu’architecture. La dystopie décrit un monde encore plus sinistre, tout aussi extrait de la nature. C’est là que le récit de Pierre Boule se distingue des autres dystopies en proposant une autre évolution sur une autre planète et avec des grands singes devenus humains et dans des cités identiques aux nôtres » (p. 26).

« La Planète des singes est aussi un roman dioptique, en référence aux lois de la réfraction de la lumière au passage d’une surface séparant deux milieux » (pp. 26-27).

 

Pierre Boule, en inversant les rôles nous fait passer de l’autre côté du miroir.

 

« Les hommes sont devenus des animaux et les grands singes des humains. Les grands singes se comportent envers les hommes comme nous le faisons sur notre planète envers eux » (p. 27).

 

A l’époque de la rédaction du roman de Pierre Boule, les primatologues se lançaient dans une série d’expériences en laboratoire sur les capacités cognitives des grands singes en appliquant la loi de C. Loyd Morgan, un des pionniers de la psychologie comparée.

 

« Celle-ci postule que, si on peut proposer une explication de plus bas niveau pour rendre compte d’un comportement, il n’est pas utile d’aller rechercher une interprétation de niveau plus élevé. En des termes plus béhavioristes, si un chimpanzé s’acquitte d’une tâche complexe, il faut explorer toutes les possibilités de la génétique, des instincts et du conditionnement réflexe plutôt que d’invoquer la raison et la réflexion comme on le fait naturellement pour un homme confronté aux mêmes tâches » (pp. 28-29).

 

Malheureusement, encore actuellement, ce principe domine même si les sciences cognitives l’ont fortement invalidé.

 

« On n’arrive pas à se détacher si facilement de plusieurs millénaires de dualisme homme/animal, acquis/instinct et culture/nature édifié lourdement par les mythes, les religions, les philosophies et une partie des sciences occidentales » (p. 29).

 

La force du roman c’est de nous faire réagir avec colère à l’encontre de ces grands singes prétentieux alors qu’il s’agit plutôt de notre honte d’agir ainsi envers nos frères d’évolution.

 

« La reconstitution de nos origines communes avec les chimpanzés – qu’on appelle dernier ancêtre commun – nous place dans une autre perspective et pose la question : comment en partant d’un tel patrimoine comportemental et cognitif si élevé – pardon, si humain – les uns sont-ils devenus des chimpanzés et les autres des hommes ? » (p. 30).

 

Pascal Picq se pose la question de savoir si notre planète aurait pu devenir une « planète des singes ».

 

« Si le genre Homo n’avait pas entamé sa formidable expansion depuis deux millions d’années, il est fort probable qu’il aurait pu en être ainsi. Cependant, l’homme domine, peut-être trop et jusqu’à devenir sa propre menace. Aujourd’hui, les grands singes se trouvent les plus en danger, car coincés entre l’expansion des populations humaines et celle de toutes les espèces de singes à queue (dont beaucoup très fragilisées elles aussi) » (p. 35).

 

Après ce long prologue, notre scientifique se lance dans « un voyage éthologique qui passe par la politique ».

 

« Les éthologues ont longtemps négligé l’espèce la plus simiesque : Homo politicus ; c’est de l’éthologie humaine » (p. 36).

 

Dans la première partie de son ouvrage, Pascal Picq passe rapidement en revue les comportements des différents genres de singe. C’est ainsi que l’on apprend que dans la majorité de ceux-ci, les femelles sont phylopatriques, c’est-à-dire qu’elles passent toute leur vie au sein de leur groupe de naissance, tandis que les mâles migrent à l’adolescence  pour avoir une chance de se reproduire (exogamie). Les seules exceptions à la règle sont les chimpanzés, les bonobos et les hommes, avec des mâles patrilocaux et des femelles qui s’en vont à l’adolescence.

Une deuxième constatation faite par les éthologues qui voyaient dans le comportement des babouins hamadryas la preuve naturelle de la légitimité de la domination masculine, est que les femelles s’avèrent être de fines politiques chez de nombreuses espèces.

L’ourang-outang, l’un des trois grands singes anthropoïdes, placide et malicieux s’avère être doué de culture et d’humour.

Le gibbon est un des seuls genres, parmi les primates,  a avoir des mœurs sociales d’un monogame très lié à sa femelle et à sa progéniture. De plus, il est le seul singe chanteur alors que les autres hurlent leurs humeurs.

Le gorille, contrairement à son apparence, est un paisible végétarien vivant en harem sous la tutelle d’un mâle au dos argenté entouré de quelques femelles.

Le chimpanzé gracile ou bonobo a la fausse réputation d’être un fornicateur invétéré. Ce sont plutôt des adeptes de l’hédonisme qui tentent d’apaiser les conflits à venir par des relations d’apaisement allant jusqu’à une relation sexuelle. De plus, « les femelles bonobos apportent la démonstration que les archaïsmes machistes en politique sont récents ».

 

« La domination masculine chez Homo n’est pas un effet de l’évolution des singes, mais de l’histoire des sociétés humaines, […] » (p. 71).

 

« […] chez les bonobos, les femelles mènent leurs affaires avec aisance, charme et hédonisme, surtout pour éviter que les mâles ne se coalisent » (p. 71).

 

« Les femelles bonobos ont réussi là où trop longtemps les femmes ont échoué. Elles contournent tous les obstacles, dont la contrainte de l’exogamie. Au lieu de se placer en rivales pour quelques beaux mâles, dès que deux d’entre eux se rapprochent amicalement pour s’épouiller ou partager de la nourriture, elles s’efforcent de briser le lien en train de s’établir et compensent la frustration par une relation sexuelle » (p. 72).

 

Enfin :

 

« Les femelles bonobos n’ont pas besoin des mâles pour survivre ni pour élever leurs jeunes : indépendance écologique, parentale et affective. Elles ont réglé les problèmes de mâlitude » (pp. 73-74).

 

Les macaques ou genre Macaca représentent un groupe en pleine expansion depuis quelques millions d’années. L’espèce macaque rhésus est la plus répandue et la plus connue car elle a contribué à la découverte du facteur rhésus du groupe sanguin.

La liste se poursuit ainsi avec le babouin des savanes,les petits singes à longue queue (Cercopithecus), l’alouatte ou singe hurleur, les entelles ou langurs d’Asie, et enfin, les mandrills, drills et geladas.

Le dernier chapitre de cette partie est consacré à la Mama des chimpanzés. Cette vedette faisait partie de la colonie expérimentale créée au Burger Zoo d’Arnhem en Hollande par le professeur Jan Van Hooff. Lors de l’installation de celle-ci, Mama s’est très vite montré la femelle dominante sans qui rien ne pouvait se faire. Les trois mâles introduits dans la colonie furent dans un premier temps agressés par une coalition des femelles. Il fallut l’intervention des animaliers pour remettre les choses en place. Par après, au gré des alliances, les mâles étaient obligés d’obtenir son soutien.

 

« Mama est une fine politique qui s’intéresse sincèrement au bien-être des autres, une dame de care, en somme. Elle gère efficacement les relations entre ses congénères chimpanzés et le personnel du zoo d’Arnhem, […] » (p. 116).

 

La deuxième partie traite des fondements (naturels ?) de la politique.

 

« L’observation des chimpanzés révèle que les racines de la politique sont plus anciennes que l’humanité, ce qui nous ramène bien au-delà des calendes grecques et permet de s’interroger sur des évidences comme l’importance de la force physique, le rôle prétendument secondaire des femmes ou encore les privilèges sexuels des mâles envers les femelles » (pp. 127-128).

 

L’étude du comportement de nos cousins les chimpanzés montre qu’ils respectent quelques définitions célèbres de la politique comme celle de D’Alembert :

 

« La politique est l’art de tromper les hommes » A cet égard, les chimpanzés se révèlent très roués, dans les relations et les intrigues aussi bien entre eux qu’avec les hommes.

De même pour celle de Valéry : « La politique consiste dans la volonté de conquête et de conservation du pouvoir ». En la matière, également, les chimpanzés se montrent particulièrement doués, les mâles comme les femelles » (pp. 129-130).

 

Le premier chapitre de cette partie démontre, d’après le comportement des individus qui constituent la colonie du zoo d’Arnhem que le chimpanzé est un véritable animal politique. Il nous apprend que pour atteindre les plus hautes sphères du pouvoir, les chimpanzés n’hésitent  pas à grimper dans la hiérarchie à coups d’intrigues, de complots, d’alliances et d’agressions.

Le chapitre suivant essaye de définir les origines de la politique.

 

« Si on se place dans la perspective d’une comparaison entre les sociétés humaines et entre ces dernières et celles des grands singes et des singes, il en ressort quelques particularités assez rares partagées par les hommes et les chimpanzés : les mâles apparentés ne quittent pas leur troupe de naissance, alors que les femelles sont exogames ; ils pratiquent la chasse, se font la guerre entre communautés et se livrent à des jeux de pouvoir au sein de leur groupe. Ces caractéristiques s’observent dans toutes les communautés de chimpanzés et d’hommes avec, […], des exceptions notables » (p. 150).

 

« Grâce aux chimpanzés, on arrive à franchir une étape des origines de la politique, sans pour autant en connaître les causes ultimes. Cette remarque appelle quelques commentaires. Selon les théories de l’évolution héritées de Darwin, il faut distinguer la question de l’apparition des caractères de celle de leur transformation ou évolution au sens strict. Cela s’articule en trois temps : tout d’abord l’apparition des caractères, puis leur sélection et, ensuite, leur évolution ou transformation » (p. 153).

 

Si cela s’applique à la bipédie et au langage, il en va de même pour la politique. Grâce aux traces de l’évolution de ces diverses caractéristiques, on arrive à reconstituer une partie des systèmes sociaux et des comportements à partir de l’anatomie, de l’écologie et du régime alimentaire en s’appuyant sur les concepts et les outils de la socioécologie et de la sociobiologie, mais également de façon plus tenue, des relations entre les individus, et à ce qui a trait à la politique.

 

« La seule hypothèse étayée par la systématique phylogénétique est que le dernier ancêtre commun aux hommes et aux chimpanzés possédait, au moins potentiellement, ces aptitudes à la politique et que celles-ci se sont plus ou moins développées au cours de nos évolutions divergentes.

Selon les théories modernes de l’évolution, on distingue les causes ultimes des causes proximales. Les causes ultimes sont liées à la sélection et à l’adaptation d’une espèce au cours de son histoire ; les causes proximales décrivent comment les individus se comportent dans leur environnement » (p. 154).

 

Pascal Picq se pose ensuite la question :

 

« Quels sont les caractères comportementaux nécessaires, mais pas suffisants, pour faire de la politique ? » (p. 155).

 

Mais avant cela, il nous propose une définition du pouvoir due à Robert Dahl, professeur de sciences politiques à Yale :

 

« Un individu (en tant que personne ou représentant) exerce un pouvoir sur un autre ou d’autres individus dans la mesure où il obtient de ces derniers des comportements, des actions, voire des conceptions, que celui-ci ou ceux-ci n’auraient pas eus sans son intervention » (p. 155).

 

Notre paléoanthropologue passe en revue ces différents comportements que l’on retrouve chez les grands singes et plus particulièrement chez les chimpanzés,  en les classant en aptitudes cognitives et en actions envers les autres.

Ayant la capacité de se représenter ses propres états mentaux et ceux des autres et aussi de les comprendre (théorie de l’esprit) le chimpanzé adopte toute une série de comportements comme la prévication et le mensonge, ou la conscience de soi, de celle des autres, du groupe, entraînant de la sympathie ou de l’empathie. Son amour-propre le pousse à l’équité et parfois à la simulation.

Vis-à-vis des autres, il usera de son influence et sera capable de préméditation et d’anticipation. Il peut adhérer à une décision collective en toute démocratie et s’il se sent frustré peut piquer une colère et lancer des injures. Il peut également vouloir s’imposer par des parades de démonstration de force. Un conflit se termine presque inévitablement par une réconciliation. Les dominants peuvent faire preuve de tolérance, feindre de ne pas voir certains actes pour ne pas perdre la face.

L’éventail des comportements est vaste et il est fastidieux de les citer tous ici.

 

« Si les chimpanzés présentent tous ces comportements, ce n’est pas parce qu’ils font de la politique. Au contraire, c’est parce qu’ils sont apparus dans différentes lignées de singes et de grands singes que les chimpanzés font de la politique et, en passant, les hommes. Comme toujours dans l’évolution, il n’y a pas de but et encore moins de projet. Les bonobos bénéficient d’un même héritage phylogénétique que les hommes et les chimpanzés et, dans l’état de nos connaissances, ne se livrent pas aux délices de la politique, en tout cas pas comme on la considère du point de vue des chimpanzés et des hommes […].

D’un  point de vue évolutionniste, la seule approche testable sur l’avantage adaptatif d’un caractère, c’est le succès reproducteur différentiel des individus qui en sont porteur. Avec la politique, on peut s’interroger sur l’avantage donné au groupe » (pp. 170-171).

 

La réponse à cette interrogation est difficile car les primatologues n’ont pas encore assez de recul dans le suivi des évolutions démographiques des groupes pour pouvoir juger des avantages possibles que fournirait l’exercice de la politique au sein de ceux-ci.

 

Au terme de cette deuxième partie, l’auteur tire les conclusions provisoires suivantes :

 

« Les origines de la politique proviennent d’un ensemble de comportements sociaux et de capacités cognitives complexes […]. Elles émergent des intérêts des individus d’une libido dominantis dont les ressorts nous échappent. Pour Darwin, il faut rechercher du côté des comportements des autres singes […]. Dans l’évolution, on constate l’apparition des caractères, leur variation, leur sélection et leur évolution, ce qui est déjà pas mal. Quand aux pourquoi, il faut revenir vers les philosophes et les sciences humaines, en espérant que les réponses proposées depuis plus de trois siècles puissent être réfutables et testables chez les chimpanzés ; on en est loin » (p. 172).

 

Le dernier chapitre de cette partie tente une approche évolutionniste de la politique. Dans ce cadre, la différence lourde de conséquence entre les chimpanzés et les hommes qui ont les mêmes structures et organisations sociales fondamentales, réside dans la reconnaissance de la filiation.

Chez les chimpanzés comme dans les sociétés humaines préurbaines, les groupes sont constitués de femelles exogamiques et de mâles apparentés. Les liens d’affinités et de parentés sont plus solides entre les mâles et des relations hostiles existent vis-à-vis des groupes externes. Dans cette organisation doit-on y voir un déterminisme génétique hérité de notre dernier ancêtre commun ? Les bonobos semblent contredire cette interrogation.

 

« D’un point de vue social, comportemental, cognitif, culturel et politique, les chimpanzés robustes ressemblent beaucoup aux hommes. Cependant, les bonobos nous disent qu’il n’y a pas de fatalisme en matière de domination et de violence des mâles » (pp. 174-175).

 

« L’espèce humaine se distingue par la propension marquée au soutien envers les apparentés et, de ce fait, se montre la plus « sociobiologique » au sens le plus radical de ce terme. Si les individus des espèces sociales tendent à favoriser la diffusion de leurs gènes par les divers moyens non conscients impliqués dans le succès reproductif individuel et de parentèle, la conscience de la notion de parenté entraîne des actions intentionnelles en ce sens » (p. 175).

 

Le philosophe, économiste et chercheur en sciences politiques américain, Francis Fukuyama (*1952) reconnaît que les sociétés humaines se sont développées à partir de cinq traits comportementaux : le soutien des apparentés, l’altruisme réciproque, l’invention de règles ou de lois, le respect de ces règles et la propension à la guerre.

 

« On observe cela chez les chimpanzés, mais de façon moins accentuée. Il y aurait donc affermissement de ces traits qui reçoivent diverses formes de légitimités discursives passant par les cosmogonies, les mythes et les lois » (p. 76).

 

En mettant en relation l’approche évolutionniste de Pascal Picq avec la thèse développée par Fukuyama, « on met en évidence des aspects inattendus de l’histoire politique des sociétés humaines ».

« Peu de sociétés animales manifestent un pouvoir aussi affirmé des mâles sur les femelles » [que les sociétés humaines] (p. 179).

 

« Les sociétés humaines se caractérisent par l’obligation sociale faite aux mâles de s’investir dans l’éducation des enfants. Selon les relations de parenté et de filiation, cela peut concerner les enfants naturels ou ceux d’un apparenté, comme les enfants de la sœur. Ces obligations ne peuvent pas se concevoir sans des règles de filiation, qui vont se renforcer socialement, économiquement et politiquement dans leurs versions patrilinéaires, et tout particulièrement dans les sociétés horticoles et agricoles. Leurs formes symboliques les plus achevées émergent dans les sociétés du bassin méditerranéen avec les religions monothéistes et leurs variantes séculaires comme la psychanalyse fondée sur l’image du père méditerranéen en passant par la loi salique. Le coup de force des mâles humains sur les femmes n’est pas d’ordre biologique, mais culturel ! » (pp. 179-180).

 

« Le plus lourd de conséquence est que nos démocraties modernes et les besoins de nouvelles gouvernances à tous les niveaux de nos sociétés – depuis les quartiers aux instances internationales en passant par les entreprises et les assemblées régionales et nationales – se heurtent, non pas à l’éventail de nos comportements sociocognitifs partagés avec les chimpanzés, mais à des constructions culturelles, historiques et idéologiques propres aux sociétés humaines et mises en place depuis quelques dizaines de milliers d’années seulement » (pp. 180-181).

 

Dans la troisième partie, Pascal Picq  se propose de revisiter les quelques fables de La Fontaine mettant en scène le singe.

 

« Nous y découvrons que, contrairement à toutes les idées péjoratives associées au singe dans notre pensée moderne, la Renaissance et surtout l’âge classique avaient une idée de l’animalité qui n’avait rien de dégradant pour les animaux.

Dans ces quelques fables, le singe occupe une place privilégiée auprès du souverain, donc tout près du pouvoir. La Fontaine ne se préoccupe pas du singe en tant que tel, mais bien des mœurs des hommes » (pp. 185-186).

 

L’auteur termine par sa conclusion où il met en scène les hommes politiques actuels en comparant leur comportement à celui des chimpanzés. Il y prend certains risques politiques de bon aloi.

Ainsi, lors d’une rencontre entre Barack Obama et Nicolas Sarkozy, ce dernier, par un désir de décontraction et de désacraliser sa fonction, se référant au président des Etats-Unis ne cesse de dire « Barack », alors qu’Obama cite son homologue en l’appelant « le président ». D’un côté, Obama s’exprime au nom de son peuple – « We, the people », de l’autre Sarkozy, s’enferme dans son omphaloscopisme – « Moi, le peuple ».

 

« Chez les chimpanzés, comme chez toutes les espèces, le dominant adopte des attitudes et des comportements liés à sa position : port de tête et des épaules qui donnent plus de prestance et de puissance, poils hérissés, déplacements sans précipitation, contrôle des expressions faciales et des mimiques, gestes modérés et d’ampleur, des interventions circonspectes dans les moments importants, ce qui passe aussi par une reconnaissance des alliés et la magnanimité envers les autres » (p. 233).

 

Il s’attaque également aux médias et surtout à la téléréalité.

 

« Nicolas Sarkozy n’est pas un sans-gêne, un impoli, un provocateur ; c’est un enfant de l’ère télévisuelle dont les codes violent tous les fondements les plus élémentaires de l’anthropologie et de l’éthologie. La téléréalité est tout sauf une réalité anthropologique et éthologique. Son succès se fonde justement sur l’écrasement des codes sociaux, la méritocratie sociale étant balayée par l’illusion médiocratique. La stratégie de communication continue de Sarkozy, sans hiérarchisation des sujets, à coups d’annonces à tout-va et parfois à l’emporte-pièce, a saturé les esprits. La politique ne se mitraille pas comme les spots publicitaires concoctés par les annonceurs » (pp. 233-234).

 

Pour notre anthropologue, l’épouillage chez les singes est comparable à l’échange de propos banals entre hommes dans une démocratie.

Et de citer en exemple l’attitude des politiques au Salon de l’agriculture qui représente l’arène éthologique la plus redoutable pour eux. Si l’art de l’épouillage n’est pas inné, il est des candidats qui sont plus doués que d’autres.

 

« A ce jeu, Jacques Chirac reste le maître incontesté. Tout d’abord, il aime ça, il a le goût des autres. Une belle andouillette le fait jubiler tandis que, pour la génération politicienne qui suit, la seule vue de ces intestins divinement roulés fait paniquer les services d’ordre à oreillette. Quelle misère éthologique que de voir, au journal de 20 heures, tous ces politiques qui se trimbalent comme des andouilles dans les allées du salon, trop engoncés par l’image conseillée par leur communicants. Ils feraient mieux de boire un bon coup et de se laisser aller aux choses simples et délicieuses de la convivialité » (pp. 238-239).

 

Il termine sa conclusion en se posant la question : en politique, sommes-nous modernes ? Si on aborde le problème du côté des femmes, les pays du sud de l’Europe sans encore engoncés dans un machisme aussi archaïque qu’ordinaire.

 

Et voici le mot de la fin :

 

« Après ce parcours parmi les singes et la politique, on constate qu’il n’existe aucune sagesse ou violence naturelle du pouvoir, que les gènes comptent moins que les individus et leur désir de vivre ensemble. Que rien n’est jamais acquis et que l’évolution est toujours en train de se faire ; nom d’un singe ! » (p. 242).

 



02/04/2012
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