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Cours

Cette catégorie reprend les causeries données lors des réunions mensuelles. A la demande de certains de nos membres, nous avons, sans aucune prétentions, voulu donner des notions élémenataires de notions de géologigie.


Listes des cours donnés lors des réunions mensuelles

Les différents cours, ou plutôt causeries, données lors des réunions mensuelles, sur les grands principes de la géologie se sont réparties en cycles.

1er cycle : principes généraux

- Les grandes divisions stratigraphiques

- La tectonique de plaques

- Le métamorphisme

2ème cycle : Les grandes familles de roches

- Les roches sédimentaires

- Les roches métamorphiques

- Les roches magmatiques

- Détermination pratique des roches

3ème cycle : géologie structurale

- Généralités sur la géologie structurale

- Les formes secondaires de gisement d'origine non tectonique

- Les dislocations tectoniques

- Schistosité et exemples de dislocations tectoniques continues

- Les dislocations tectoniques discontinues

- Exemples de dislocations tectoniques discontinues

- Rapide survol sur la géologie de la Belgique

 

Les notes de ces différentes causeries sont disponibles auprès de notre secrétaire. Le prix est fonction du nombre de pages et varie entre 1 et 5 Euros.


15/03/2010
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Qu'est-ce que l'évolution ?

Qu'est-ce-que l'évolution ?

 

Pour aborder cette délicate question, je vais m'appuyer sur l'ouvrage de référence rédigé sous la conduite de Guillaume Lecointre, intitulé « Guide critique de l'évolution » et sur la « brique », véritable cours de biologie, sortie chez de Boeck, appelée tout simplement « Biologie ».

 

Raisons du choix de ce thème

 

Si j'ai proposé ce thème cette année, c'est pour plusieurs raisons.

-         Nous avons fêté en 2009, le bicentenaire de la naissance de Darwin et le 150ème anniversaire de la parution de son œuvre majeure « L'Origine des espèces ».

-         Depuis quelques années, une recrudescence du « créationnisme » diffusé par des mouvements intégristes, perturbe l'esprit de certains individus crédules.

-         Un courant parallèle au précédent mais plus subtil, le « dessein intelligent », inquiète les autorités scientifiques car il touche de nombreux élèves de l'enseignement supérieur et même universitaire. Les enseignants, notamment les professeurs de biologie, se sentent démunis devant ce phénomène car ils n'ont pas été formés dans ce domaine.

 

Tentative de définition de la théorie de l'évolution

 

Mais d'abord qu'entend-t-on par « évolution » ?

Précisons que dans notre cas nous parlerons d' « évolution biologique ».

 

Pour faire très simple : Théorie des transformations des espèces vivantes au cours du temps.

 

D'une manière plus générale : En biologie, l'évolution désigne la transformation des espèces vivantes au cours des générations. Cette transformation peut aboutir à la formation de nouvelles espèces, et donc à une diversification des formes de vie. Cette diversification depuis les premières formes est à l'origine de la biodiversité actuelle. L'histoire de l'évolution de la vie peut ainsi être décrite sous forme d'un « arbre évolutif », ou « arbre phylogénétique ».

 

Voici une manière de représenter cet arbre phylogénétique. Il est basé sur l'ouvrage de Richard Dawkins, « Il était une fois nos ancêtres – Une histoire de l'évolution »[1]. Contrairement à la majorité des chronologies, l'auteur prend le déroulement à rebours. Au lieu de considérer que l'évolution est dirigée vers nous, il part de l'Homo sapiens actuel (choix arbitraire,  il aurait pu prendre n'importe quel groupe d'espèces actuelles) pour remonter dans le passé. De plus, il présente son livre sous la forme d'un pèlerinage, où des pèlerins s'unissent à d'autres flux de pèlerins, pour rejoindre un lieu précis. Dans ce cas, tous les flux de pèlerins rejoignent le chemin qui conduit  à l'origine de la vie. En cela, il parodie l'œuvre de Geoffrrey Chaucer[2], « Les contes de Canterbury ».

 

But de ce cycle de causeries

 

Nous avons tous une idée plus ou moins précise sur la théorie de l'évolution et nous savons tous que Charles Darwin en est le père. Cependant, nous sommes imprégnés de fausses idées qui se ressentent dans notre propos lorsque nous abordons ce thème.

Ce que je veux tenter de vous faire comprendre se résume aux propositions suivantes :

-       Ce qu'est une démarche scientifique en écartant toute réaction intuitive ;

-       Qu'inconsciemment nos discours sont imprégnés de finalisme et d'anthropocentrisme ;

-       Qu'il faut recentrer le débat sur une véritable approche scientifique, sans a priori et en toute indépendance ;

-       Et en définitive, que l'espèce humaine appartient au monde du vivant et n'occupe pas une place à part. Nous sommes le résultat de l'évolution et non pas une finalité en soi.

 

Vaste programme, qui, en fait, tente de vous donner le cadre intellectuel général dans lequel on peut comprendre l'évolution, ainsi que les outils et les documents qui vous permettront de tenir un discours sur l'évolution sans trahir les sciences qui l'ont élaborée.

 

1.       Qu'est-ce qu'une démarche scientifique ?

 

Ø   Les sciences dans leurs méthodes et leurs résultats sont contractuellement non intentionnées au plan moral, politique, métaphysique ou religieux. On n'y trouve aucun but, ni aucune intention de quelque ordre que se soit. Ainsi, l'homme est une espèce parmi les autre et non pas le summum de l'évolution.

Développons :

Nos croyances religieuses ou philosophiques ne doivent en aucun cas interférer sur notre recherche de la connaissance du monde qui nous entoure, et surtout, la politique et le mercantilisme doivent être tenus à l'écart de l'approche scientifique, car leur intervention peut entraîner des dérives dangereuses. Rappelons les horreurs que l'application de l'eugénisme a entraînées sous le régime nazi. Plus proche de nous, l'affolement provoqué par la médiatisation des dangers de la grippe mexicaine qui a poussé les Etats à des dépenses exorbitantes au grand bonheur de quelques laboratoires pharmaceutiques

 

Ø   Donc, les sciences ont pour fonction de nous fournir des explications rationnelles sur le monde tel qu'il est, ces explications étant validées par des expérimentateurs indépendants.

Développons :

Bien que mon intuition première me fasse croire que le soleil tourne autour de la terre (géocentrisme), des mesures expérimentales ont démontré que c'est l'inverse qui se passe (héliocentrisme)

La théorie de l'héliocentrisme s'est opposée à la théorie du géocentrisme, lors de la controverse ptoléméo-copernicienne, entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIIe siècle : l'héliocentrisme fut l'objet d'interdits religieux, en 1616. Galilée fut condamné en 1633 pour son livre le dialogue sur les deux grands systèmes du monde (sa peine fut commuée en assignation à résidence par Urbain VIII). Les interdits furent levés en 1741 et 1757 par Benoît XIV. Ceci confirme le premier paragraphe de cette proposition : tenir les croyances religieuses en dehors de la science.

De nos jours, l'héliocentrisme n'est plus qu'une approximation, puisqu'en réalité, le Soleil n'occupe que le foyer des différentes ellipses constituant la trajectoire des différentes planètes. Le centre de gravité du système solaire reste cependant très proche du centre de masse du Soleil.

 

Ø   Les observations peuvent conduire à l'élaboration d'une théorie qui sera établie sur l'analyse de faits et sera confortée par l'expérimentation.

Développons :

Un bel exemple est donné par Albert Einstein et ses théories de la relativité (restreinte et générale)

La théorie de la gravitation universelle proposée par Newton à la fin du xviie siècle se fonde sur la notion de force de gravitation agissant selon le principe d'action à distance, c'est-à-dire le fait que la force exercée par un corps (par exemple le Soleil) sur un autre (la Terre) est déterminée par leur position relative à un instant donné, et ce quelle que soit la distance les séparant. Ce caractère instantané est incompatible avec l'idée de la relativité restreinte proposée par Einstein en 1905. En effet, selon cette dernière, aucune information ne peut se propager plus vite que la vitesse de la lumière dans le vide. Par ailleurs, le principe de l'action à distance repose sur celui de la simultanéité de deux événements : la force que le Soleil exerce sur la Terre à un instant donné est déterminée par leurs propriétés « à cet instant ». La relativité restreinte stipule que le concept de simultanéité de deux événements n'est pas défini, la perception de la simultanéité étant différente d'un observateur à un autre pour peu que ceux-ci soient animés d'une vitesse relative non nulle. Ces contradictions amènent Einstein dès 1907 à réfléchir à une théorie de la gravitation qui soit compatible avec la relativité restreinte. Le résultat de sa quête est la théorie de la relativité générale.

La relativité générale a la réputation d'être une théorie fortement mathématique, impossible à relier à des résultats expérimentaux. C'est une erreur, car si ses postulats ne sont pas testables, elle prédit des effets observables de déviations par rapport aux théories physiques qui ont précédé.

Trois tests classiques historiques de la relativité générale ont été proposés par Einstein lui-même.

1.   Le 18 novembre 1915, Einstein présente à l'Académie de Prusse un manuscrit dans lequel il résout une énigme vieille de plus de soixante ans : l'anomalie de l'avance du périhélie de Mercure.

2.   Dans le même manuscrit daté du 18 novembre 1915, Einstein propose de tester la déviation d'un rayon lumineux dans le champ de gravitation d'un astre massif comme le Soleil. Cette prédiction du savant allemand sera confirmée en 1919, donc au sortir de la première guerre mondiale, par les résultats de deux expériences dirigées par l'astronome britannique Eddington.

3.   Le décalage vers le rouge (redshift en anglais) est un phénomène astronomique de décalage vers les grandes longueurs d'onde des raies spectrales et de l'ensemble du spectre – ce qui se traduit par un décalage vers le rouge pour le spectre visible – observé parmi les objets astronomiques lointains. C'est un phénomène bien documenté et considéré comme la preuve de l'expansion de l'univers et du modèle cosmologique du Big Bang.

 

Ø   Toute théorie peut être remise en question si de nouveaux faits s'imposent. C'est ainsi que pour le philosophe Karl Popper[3], une proposition scientifique n'est donc pas une proposition vérifiée (avec certitude) - ni même vérifiable par l'expérience (c'est-à-dire par l'intermédiaire de tests scientifiques) -, mais une proposition réfutable[4] (ou falsifiable) dont on ne peut affirmer qu'elle ne sera jamais réfutée. La proposition « Dieu existe » est pour Popper dotée de sens, mais elle n'est pas scientifique, car elle n'est pas réfutable. La proposition « Tous les cygnes sont blancs » est une conjecture[5] scientifique. Si j'observe un cygne noir, cette proposition sera réfutée. C'est donc la démarche de conjectures et de réfutations[6] qui permet de faire croître les connaissances scientifiques.

Développons :

Avant Galilée, il était admis que la terre était le centre de l'univers (géocentrisme). Des observations astronomiques et des calculs ont établi la théorie de l'héliocentrisme. La première hypothèse a été réfutée après plusieurs siècles d'existence. Un grand pas dans les connaissances astronomiques a été fait à ce moment.

Par contre, le « créationnisme » n'est pas une science mais une croyance basée sur des dogmes. Ses adeptes s'en réfèrent à une lecture littérale des Livres saints (Bible, Coran, Talmud). Ces dogmes sont intangibles et imposés comme seule vérité indiscutable. Où est la critique dans ce cas ? Pour revenir à Popper, il n'y a pas réfutabilité, donc cela ne peux être une proposition scientifique.

 

2.       La théorie de l'évolution est-elle une science ?

 

o    Comme d'autres théories, la théorie de l'évolution se base sur des faits expérimentables et expérimentés.

Développons :

Diverses observations attestent le rôle de la sélection naturelle, un des moteurs de l'évolution, dans les changements évolutifs :

 

·       Le bec des pinsons de Darwin

Lors de son périple autour du monde Darwin, récolte sur les îles Galapagos, en 1835, 31 spécimens d'oiseaux. Lors de son retour en Angleterre, l'ornithologue John Gould remarque, que contrairement à ce que Darwin pensait, cette collection était composée d'espèces distinctes apparentées se ressemblant sauf leur bec. Les géospizes (pinsons de Darwin) à grand bec se nourrissent de graines qu'ils broient dans leur bec, tandis que ceux avec un bec plus étroit se nourrissent d'insectes. D'autres sont des mangeurs de fruits et de bourgeons ; il y a aussi des insectivores et des espèces qui préfèrent les fruits de cactus et les insectes qui y sont associés. Certaines populations au bec aigu sont de véritables vampires qui furtivement se servent de leur bec pour sucer le sang des oiseaux de mer. Enfin, le plus remarquable, sont les espèces qui utilisent des outils pour s'alimenter : les géospizes pique-bois se servent d'une brindille, d'une épine de cactus ou du pétiole d'une feuille, qu'ils introduisent dans les branches mortes pour en extraire les larves.

Des observations faites in situ, en 1973, par le couple Grant ont permis de constater que la sélection naturelle favorise les becs les plus solides durant les années de sècheresse, quand les seules graines disponibles pour les pinsons sont grosses et dures à briser, tandis que durant les années humides, lorsque les petites graines abondent, les becs plus petits deviennent plus fréquents.

 

·       Le phalène du bouleau et le mélanisme industriel dont je parlerai plus loin.

 

·       La sélection artificielle  pratiquée en laboratoire, dans l'agriculture et la domestication démontre que la sélection peut produire des changements évolutifs considérables. Il suffit d'observer les différentes races de chiens, chats, etc. obtenues par croisements successifs.

A partir des années '20 et '30, des expériences en laboratoire sur un des modèles les plus appréciés des biologistes, la mouche à vinaigre, Drosophila melanogaster, ont permis de prouver que la sélection pour un caractère (taille, couleur des yeux, vitesse de croissance, durée de vie, etc.) mène à une réponse évolutive claire et prévisible. Il en est de même en agriculture et en élevage.

 

o    Comme d'autres théories (théorie chromosomique de l'hérédité, théorie de la tectonique de plaques), ses manifestations les plus probantes échappent la plupart du temps à nos sens humains et nécessitent l'utilisation d'outils adéquats.

Développons :

L'étude de l'évolution constante des bactéries, virus, microbes et autres micro-organismes, échappe à notre perception directe. Il nous faut utiliser des moyens technologiques de plus en plus sophistiqués pour percevoir cette évolution.

Actuellement, un domaine de la géologie et par conséquence de la paléontologie qui absorbe un grand nombre d'équipes de scientifiques est l'étude des origines de la vie sur Terre. Cela implique l'analyse, par des techniques modernes (mesures isotopiques, etc.), des roches les plus anciennes de notre planète (de 1 à 3,5 Ga), et des traces éventuelles de fossiles de micro-organismes qu'elles renferment.

 

o    Comme d'autres théories, la théorie de l'évolution est à la fois une théorie cohérente[7] et une multitude de faits d'évolution.

Développons :

Il est possible d'établir une corrélation cohérente entre les archives paléontologiques (succession des fossiles, selon leur âge) et les données moléculaires (analyse des séquences géniques ou protéiques). L'analyse de l'ADN mitochondrial des Hominidés a permis de confirmer, de corriger et d'affiner les généalogies établies par les paléontologues.

 

3.       Finalisme et anthropocentrisme

 

Bien que nous soyons réceptifs à la théorie de l'évolution, sa compréhension rencontre des obstacles qui se traduisent dans notre discours. Inconsciemment nous utilisons dans celui-ci des termes qui peuvent avoir une connotation finaliste ou téléologique et anthropocentriste

Souvent nous nous considérons comme le centre du monde et l'aboutissement de l'évolution biologique. En fait, l'évolution est un phénomène général aveugle qui n'a aucune tendance directionnelle ou intentionnelle. Elle est amorale. L'évolution est également régie par la contingence, c'est-à-dire qu'elle peut prendre une direction ou une autre en fonction d'événements qui peuvent se produire ou ne pas se produire. C'est une forme de hasard lié à une succession d'événements contingents. Dans notre vie courante, la plupart des situations sont contingentes, à commencer par notre conception. Pourquoi, tel spermatozoïde parvient-il à pénétrer l'ovule. Si cela avait été son voisin ce n'aurait pas été moi. Dans quelle circonstance ai-je rencontré telle personne qui deviendra mon conjoint, mon meilleur ami, etc. ?

A un niveau évolutionniste : si les dinosaures n'avaient pas disparu il y a 65 Ma, les mammifères se seraient-ils développés et auraient-ils occupés toutes les niches écologiques laissées disponibles ? Si la tectonique de plaques n'avait pas provoqué un changement climatique en Afrique avec pour conséquence un changement environnemental, les primates n'auraient peut-être pas évolués dans le sens d'une hominisation, et nous ne serions pas là.

 

Exemples de propos rencontrés dans divers supports médiatiques :

 

1.     « Les océans se forment, la vie sur Terre est prête à éclore. »

Commentaire : « être prêt » a une connotation téléologique : elle entendre « se préparer à ». Comme si dès la naissance de la Terre, la vie avait déjà été programmée. Alors qu'en fait, la vie est apparue grâce à un ensemble de circonstances propices à son éclosion qui aurait très bien pu ne pas avoir lieu.

 

2.     A propos du Permien : «  Dans cet univers hostile et imprévisible, la lutte pour la vie est impitoyable »

Commentaire : D'abord, les temps préhistoriques sont dramatisés et toujours montrés comme intrinsèquement différents du monde actuel Cette présentation s'oppose à la compréhension du principe actualiste qui établit que les causes naturelles d'aujourd'hui (physiques, chimiques, biologiques) sont les même que celles qui prévalaient hier.

Deuxièmement, la lutte pour la vie suggère une confrontation violente où le plus fort l'emporte sur le plus faible. En fait, survivront les populations qui par différentes mutations favorables s'adapteront aux changements environnementaux et pourront transmettre leurs patrimoine génétique à une nombreuse descendance.

 

4.       Histoire des origines

 

Les sciences n'expliquent la nature qu'à partir du monde naturel et il n'est pas nécessaire de faire appel à des entités immatérielles définies comme : élan vital, esprit, âme, essence, transcendance, anges, démons, etc.

Lorsque les scientifiques se penchent sur l'histoire des origines de tout ce qui existe, origine de l'univers, de la Terre, de la vie, de l'homme, ils peuvent donner à penser que leur démarche qui consiste à remonter dans le passé n'est pas fiable.

Cette manière de penser se trompe sur trois points :

·       Premièrement, l'expérimentation directe n'est pas la seule façon d'apporter des preuves en science. L'histoire qui est une reconstitution d'une chaîne d'événements et/ou d'objets du passé, est également susceptible d'apporter des preuves scientifiques mais selon certaines modalités permettant de valider la cohérence des scénarios reconstitués.

Développons :

Il a été possible de retracer l'histoire de l'Univers depuis le big bang grâce à des observations, des théories vérifiées ultérieurement et des mesures. L'évolution des moyens technologiques mis en œuvre a permis de reculer le champ de nos connaissances et d'affiner cette histoire. Il en est de même pour la théorie de l'évolution qui nous permet de remonter à l'origine de la vie sur terre.

 

·       Deuxièmement, toute preuve historique repose aussi sur la connaissance des processus physiques, chimiques et biologiques à l'œuvre dans le monde actuel, car ceux-ci étaient les mêmes dans le monde d'hier.

Développons :

Il est évident que l'Univers dans lequel nous évoluons est régi par un certain nombre de règles physiques, chimiques et biologiques qui sont liées à des constantes universelles immuables depuis son origine. Tous les corps ont toujours été soumis à la loi de la pesanteur et de l'attraction universelle quelle que soit l'époque considérée.

 

·       Troisièmement, la preuve de l'existence du processus de l'évolution biologique repose aussi sur des expérimentations. Ainsi en laboratoire on peut suivre l'évolution d'organismes à temps de génération court comme les bactéries ou les moches drosophiles. On peut également l'observer dans la nature.

Développons :

L'exemple classique généralement cité est celui du phalène des bouleaux (Biston betularia). Les adultes ont une coloration qui va du gris léger avec des taches noires phalène poivrée) jusqu'au noir jais (phalène mélanique). Des études ont montré que la couleur de la phalène était un caractère génétique et reflétait l'existence de plusieurs allèles[8] d'un seul gène. Les individus noirs ont un allèle dominant, qui était présent, mais très rare, dans les populations avant 1850. A partir de cette date, la fréquence des individus noirs parmi les phalènes vivant près des sites industriels a augmenté pour atteindre 100% de ces populations. Les biologistes ont fait le rapport avec les troncs des bouleaux qui se recouvraient d'une couche de suie qui rendait leur écorce noire et entraînait l'intoxication des lichens de teinte claire poussant sur les troncs.

Comment expliquer ce phénomène ?

A la suite d'observations et d'expérimentations, il a été démontré que les formes claires étaient plus visibles pour les prédateurs sur les arbres couverts de suie et qui avaient perdu leurs lichens. Les formes noires au contraire étaient avantagées puisqu'elles étaient camouflées.

Par ailleurs un nombre égal de formes claires et de formes sombres ont été lâchées dans une zone non polluée et dans une zone polluée. L'expérimentateur, au moyen de pièges, capturait les phalènes de l'une et de l'autre zone. Dans la zone polluée il attrapa 19% de phalènes claires et 40% de phalènes sombres, tandis que dans la zone non polluée, le rapport s'inversait : 12,5 % de formes claires et seulement 6% de noires.

Donc, là où les troncs des bouleaux avaient leur couleur normale, les formes claires avaient plus de chance de survivre et dans les zones polluées c'était l'inverse avec plus de chance pour les noires.

Cette expérience fournit de solides arguments pour l'action de la sélection naturelle. Ici, ce sont les oiseaux qui jouent le rôle d'agent de la sélection.

 

5.   Les fondements de l'évolution biologique

 

L'évolution biologique qui est maintenant bien validé par les scientifiques repose sur un enchaînement extrêmement simple de constats et de déductions que l'on retrouve déjà dans l'œuvre de Darwin.

 

Ø       Constat n° 1

Parmi les individus pouvant se reproduire entre eux, on remarque des variantes. Il existe donc au sein de ce que l'on reconnaît comme des espèces une capacité naturelle de varier.

Il suffit de constater les nombreuses variétés d'individus parmi l'espèce Homo sapiens, chacune d'elle étant le résultat d'une adaptation à l'environnement. Comparons la morphologie d'un Inuit à celle d'un Pygmée ou d'un Masaï pour s'en rendre compte. Par contre l'espèce humaine arrive à une certaine uniformité à la suite des multiples croissements entre populations différentes.

 

Ø     Constat n° 2

La sélection artificielle, par croisements sélectifs, pratiquée en horticulture et en élevage, montre qu'il existe chez une espèce une capacité naturelle à être sélectionnée : la sélectionnabilité.

Cette capacité en implique une autre : les variations sont héritables une génération à l'autre.

 

Ø     Constat n° 3

Les espèces se reproduisent tant qu'elles trouvent des ressources (aliments ou conditions optimales d'habitat). Leur taux de reproduction peut les entraîner jusqu'à la limite d'épuisement des ressources. D'autres facteurs peuvent aussi limiter les populations (prédateurs). Il existe donc une capacité naturelle de surpeuplement. On constate ce phénomène lorsque les milieux sont perturbés, par exemple par l'introduction d'espèces allogènes (le lapin en Australie).

 

Ø     Constat n° 4

On remarque, malgré le constat précédent, qu'il existe des milieux équilibrés constitué par la coexistence de multiples espèces qui constitue ce que l'on appelle un écosystème. Chaque espèce constitue une limite pour les autres : même niche écologique, mêmes ressources alimentaires, prédation, parasitisme, etc. Les autres espèces constituent donc autant de contraintes qui jouent un rôle d'agent sélectif.

 

 

Ø     Constat n° 5

Le succès de la croissance et de la reproduction des espèces dépend aussi d'optimums physiques (température, humidité, rayonnement solaire, etc.) et chimiques (pH, molécules odorantes, toxines, etc.). Ces facteurs environnementaux constituent également des agents sélectifs.

 

Conclusion

La variabilité, la sélectionnabilité et la capacité au surpeuplement sont des propriétés observables des espèces. L'environnement physique, chimique et biologique est constitué de multiples facteurs qui opèrent une sélection naturelle à chaque génération.

Donc, au sein d'une population, les individus porteurs d'une variation (variants) momentanément favorisée par les conditions environnementales laisseront davantage d'individus à la génération suivante que ceux qui porte une autre variation. Si les conditions se maintiennent suffisamment longtemps, la variation sélectionnée pourra atteindre 100% de la population. L'espèce a donc subit une mutation. La sélection naturelle se traduit simplement par un succès reproductif différentiel.

La source de variation est toutefois indépendante du milieu et de nouveaux variants peuvent, si les conditions environnementales changent, être favorisés à leur tour. Par contre les variations pouvant altérées les fonctions des structures qui varient auront tendance à disparaître.

 

6.   Obstacles et difficultés dans la compréhension de l'évolution

 

1.       Il reste toujours des variants non optimaux

 

Des variants apparaissent sans cesse dans une population, mais certain d'entre eux sont désavantagés par les conditions du milieu et leur maintien dans les générations suivantes est plus ou moins compromis.

Par contre, certains traits qui paraissent handicapants peuvent être liés à d'autres traits fournissant un avantage déterminant.

Développons :

L'anémie falciforme est une affection d'origine génétique, cela veut dire que les personnes qui en sont atteintes ont hérité d'un gène de l'hémoglobine S (allèle drépanocytaire) de chaque parent. Les personnes qui n'ont hérité que d'une copie de cet allèle sont porteuses de cette sorte d'anémie et peuvent avoir des globules rouges déformés, mais elles ne développent pas la maladie. En général, ces personnes n'ont pas les symptômes que présentes celles qui ont hérité des deux allèles identiques.

Dans les zones où la malaria est présente, on a observé que les personnes ayant un seul allèle  drépanocytaire avaient plus de chance de survivre à la malaria. Les personnes ayant un trait drépanocytaire sont plus ou moins protégées contre la malaria, car les globules rouges déformés empêchent le développement de la malaria.

Un trait, lorsqu'il apparaît, peut être avantageux ou désavantageux pour son porteur, mais jamais adapté. L'adaptation est le résultat de la sélection naturelle opéré sur de multiples traits. C'est au niveau du succès reproductif qu'on pourra se rendre compte de son adaptabilité. L'adaptation n'est que la résultante des effets sélectifs appliqués à de multiples traits sur une population entière.

 

2.       Il existe des variants sélectivement neutres

 

Il existe aussi des variants sélectivement neutres à l'égard des facteurs du milieu qui peuvent voir leur fréquence varier aléatoirement dans les populations, au gré des croisements. C'est le modèle dit « neutraliste » décrit par Motoo Kimura (1924-1994).

 

3.       L'individu s'efface devant la population

 

Ce qu'un individu  transmet à ses descendants, par l'intermédiaire des cellules sexuelles, c'est une partie de ce qu'il a reçu de ses ascendants et ce d'une manière aléatoire.

La seule manière qu'un individu a d'influer sur la constitution physique de sa descendance réside dans le choix de son partenaire sexuel et le nombre de descendants qu'il aura avec. C'est le seul impact qu'un individu peut avoir sur une population.

Dans un raisonnement évolutionniste, l'individu s'efface devant la population. La « survie du plus apte » n'est pas la survie de l'individu le plus apte, mais le maintien dans une population du variant d'un trait momentanément le plus avantagé que les autres variants de ce même trait. Il vaut mieux parler de « succès reproductif des individus portant le variant avantagé par les conditions du milieu ».

 

4.       Il ni a ni but, ni destinée

 

De ce qui précède, on peut en tirer le constat suivant : l'espèce n'est pas stable et l'environnement non plus, à plus ou moins long terme. Malgré cela, nous ne pouvons pas nier que les individus se ressemblent. Cela semble incompatible avec la le processus de variation. Pourquoi ?

En fait, le vivant est la résultante de forces de maintien organique et de forces de changement.

 

Parmi les forces de maintien organique, la sélection naturelle, par le moyen des facteurs sélectifs qui agissent dans un milieu momentanément stable, élimine, pour un temps, les individus présentant des variants non optimum, de la descendance

Un autre élément qui participe à la stabilité organique est le croisement entre partenaires sexuels lors de la reproduction, qui limite les effets des mutations aléatoires subies par tout individu.

Développons :

Si des individus haploïdes[9] se clonaient, toute altération génétique se répercuterait immédiatement. Par contre chez les êtres diploïdes chaque gène existe en deux exemplaires homologues. On parle alors de couples d'allèles. Chaque allèle est porté par un des chromosomes homologues. Lors de la reproduction, entre deux individus, si un gène est altéré, une éventuelle déficience somatique pourra être compensée par la copie de son homologue non altéré.

 

Parmi les forces de changement, il y a d'abord les sources même de la variation, c'est-à-dire les causes des mutations au niveau du génome. Un gène typique mute environ une fois sur 100.000 divisions cellulaires. Malgré ce taux très bas, la mutation est la cause ultime de la variation génétique : elle rend donc l'évolution possible.

Un autre facteur de changement est la modification du milieu. Dans ce cas, comme nous l'avons déjà évoqué, les conditions sélectives changent et la sélection naturelle devient ainsi la courroie de transmission du changement sur les êtres vivants. Ces changement ne traduisent aucun « but », mais seulement les aléas du milieu.

Donc, le devenir d'une espèce est imprévisible puisque les changements du milieu le sont également, ce qui rend caduque la notion de « destinée ». Remontons en esprit le temps jusqu'à un certain point, puis laissons le reprendre son cours, la probabilité pour que les événements reprennent le même scénario est infiniment faible.

Le film américain, « Un jour sans fin » ou « Le jour de la marmotte » du réalisateur Harold Ramis (1993) illustre assez bien cette situation.

Il met en scène un présentateur météo sur une chaîne de télévision régionale de Pittsburgh, prétentieux, aigri et imbu de lui-même, nommé Phil Connors. Le 2 février, il part en reportage à l'occasion du jour de la Marmotte, festivité traditionnelle célébrée en Amérique du Nord le jour de la Chandeleur. Mais une fois le sujet tourné, un blizzard le force à passer la nuit sur place. A chaque fois que son réveil sonne, c'est la même journée qui recommence : les événements du début de la journée se déroulent pratiquement identiques aux jours précédents mais avec une petite variante à la clé qui un tout autre sens à la vie du héro.

 

La notion même de destinée est incompatible avec tout processus historique, processus évolutif compris. C'est l'une des difficultés psychologique les plus difficiles à surmonter que l'on rencontre lorsque l'on veut faire comprendre le processus évolutif à un public qui confond le discours sur les faits naturels et le discours sur les valeurs.

L'absence de « but » et de « destinée » dans l'explication scientifique d'un phénomène naturel ne relève que de l'amoralité de la démarche scientifique et de sa neutralité métaphysique. Ce n'est que si le discours scientifique est transposé en un discours moral ou métaphysique que l'absence de but et de destinée nous paraît désespérante, intolérable et immorale. Donc, ce n'est pas la théorie de l'évolution qu'il faut récuser dans ce cas, mais bien la confusion entre le discours scientifique sur les faits et le discours des valeurs qui relève de processus d'élaboration différents.

La théorie de l'évolution n'incorpore ni but ni destinée, ne défend ni ne préconise aucune valeur, aucune morale, n'autorise aucun espoir : ce n'est tout simplement pas le rôle d'une théorie scientifique.

 

Pour clore ce chapitre, je reprends un passage d'un de mes éditoriaux dans le Bulletin du G.E.S.T.[10]

« Aussi, je renvoie le lecteur à Stephen Jay Gould, ce biologiste évolutionniste bien connu par ses prises de positions contre l'offensive, sous la bannière de la « science de la Création » des organismes fondamentalistes protestants aux Etats-Unis. L'un derniers ouvrages qu'il nous laissa est intitulé Et Dieu dit : « Que Darwin soit ! »[11] débat du sujet. Il y défend le principe de non-empiètement (NOMA : Non-Overlaping Magisteria) entre science et religion afin de désamorcer dans un premier temps le combat sur le front de la biologie. Il demande que chacun exerce ses compétences dans son domaine propre. En proposant ce principe, Gould n'adopte pas une position de recul par rapport à son combat constant mais il se bat sur un double front : contre les prétentions scientifiques inacceptables de certains théologiens américains et contre les extrapolations scientistes arrogantes de certains biologistes. Pour développer son principe de NOMA, notre biologiste se risque à emprunter un terme peut-être un peu désuet au vocabulaire de la théologie chrétienne, celui de magister, c'est-à-dire enseignant. Les magisters de la science et de la religion ne doivent plus s'opposer. Chacun d'eux sont des domaines entièrement différents qui n'ont rien à voir l'un avec l'autre à part qu'ils s'occupent chacun d'une facette essentielle de l'existence humaine.

La science est avant tout basée sur un ensemble de faits établis et les théories ou hypothèses avancées peuvent être confirmées ou remises en question. Les expériences qu'elles entraînent peuvent être reproduites. Par contre, le magister de la religion est basé sur des propositions fondées sur la seule autorité, érigées en dogmes. Aucun fait établi et reproductibles n'y est possible. Ce magister est du domaine de la conviction intime personnelle et par cela même ne peut en aucun cas interférer avec le magister de la science.

 

5.       L'espèce n'est pas immuable

 

La notion d'espèce n'est pas toujours facile à définir et prête parfois à confusion. Parfois, les partenaires sexuels sont tellement dissemblables que les scientifiques pourraient les classer dans deux espèces différentes. Il est des espèces qui ont une vie larvaire tellement longue et compliquée, rythmée par des métamorphoses successives et une vie adulte très brêve, que là aussi il est difficile de les associé à la même espèce.

En gros, le meilleur critère de reconnaissance est l'interfécondité : font partie de la même espèce des individus qui se reconnaissent comme partenaires sexuels et qui donnent une descendance fertile.

Dans une population il peut arriver qu'une petite partie de celle-ci soit séparée de l'ensemble pour diverse raisons : séparation géographique à la suite d'un bouleversement géologique, migration, etc.

Dans ce cas, la dérive génétique, selon les critères définis ci-avant, empruntera deux voies différentes de telle sorte qu'au bout d'un certain nombre de génération, il n'y aura plous interfécondité entre les deux groupes : nous avons à faire à deux espèces différentes.

L'exemple des pinsons de Darwin en est un exemple.

 

6.       Conclusion de ce premier aperçu

 

La théorie de l'évolution n'est ni une simple spéculation, ni une conjecture, mais bien une science, résultat d'observations et d'expérimentations sur le terrain et en laboratoire.

Il est primordiale qu'elle soit mise à la portée de tous, car comprendre l'évolution, enseigner l'évolution, c'est comprendre le monde vivant pour ce qu'il est, pour ce qu'il a été et de se donner les moyens de prendre garde à ce qu'il sera demain.

 



[1] R. Dawkins (2007) – Il était une fois nos ancêtres, Robert Laffont.

[2] Les Contes de Cantorbéry (The Canterbury Tales en anglais) est une série d'histoires écrites par Geoffrey Chaucer au xive siècle. Le texte est écrit en moyen anglais, en vers pour la majeure partie. Les contes sont intégrés dans une histoire « cadre » et dits par un groupe de pèlerins faisant route de Southwark à Cantorbéry pour visiter le sanctuaire de Thomas Becket dans la cathédrale de Cantorbéry.

[3] Karl Raimund Popper (° 28-7-1902, Vienne, Autriche - 17-9-1994, Londres) est l'un des plus influent philosophe des sciences du XXe siècle.

[4] La réfutabilité (aussi appelée à ses débuts suite à un abus de langage la falsifiabilité) est un concept important de l'épistémologie. Une affirmation est qualifiée de réfutable s'il est possible de consigner une observation ou de mener une expérience qui démontre que l'affirmation est fausse.

[5] Une conjecture, en mathématiques, est une assertion pour laquelle on ne connaît pas encore de démonstration, mais que l'on soupçonne d'être vraie, en l'absence de contre-exemple

[6] La réfutation est un procédé logique consistant à prouver la fausseté ou l'insuffisance d'une proposition ou d'un argument. 

[7] Théorie cohérente : qui présente des parties en rapport logique et harmonieux, dont toutes les parties se tiennent et s'organisent logiquement.

[8] Allèle : se dit d'une variante d'un gène, résultant d'une mutation et héréditaire, assurant la même fonction que le gène initial mais selon ses modalités propres (Tout gène peut avoir plusieurs allèles qui déterminent souvent l'apparition de caractères héréditaires différents).

 

[9] Haploïde : se dit d'une cellule dont le noyau ne comprend qu'un seul exemplaire de chaque chromosome (cellule germinale), par opposition à diploïde (noyau ayant deux jeux de chromosomes venant respectivement des deux partenaires sexuels).

 

[10] Six R. – Le dessein intelligent !!!, in Le bulletin du G.E.S.T., n° 141, janv. 2006.

[11] Gould S.J. (2000) – Et Dieu dit : « Que Darwin soit ! », Editions du Seuil


10/05/2011
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Les précurseurs de Darwin

Evolution 3

 

Les précurseurs de Darwin

 

 

I.           INTUITIONS TRANSFORMISTES AU XVIIIe SIECLE (siècle des Lumières)

 

Comme je l’annonçais dans l’introduction de l’article précédent, l’idée « transformiste » était déjà dans l’air du temps sous une simple intuition, sans base scientifique aucune, ni observations systématiques. On trouve quelques allusions dans les œuvres de certains érudits du XVIIIe siècle. J’en citerai certains qui auraient pu plus ou moins influencer Darwin.

 

A.      Benoist de Maillet (1656-1738)

 

J’ai présenté une analyse de son Telliamed dans un article paru en deux parties dans les bulletins n° 164 de novembre 2010  et n° 165 de janvier 2011. J’y renvois le lecteur. Rappelons toutefois que de Maillet envisage une transformation des espèces par des modifications héréditaires. Il imagine que la vie a pris naissance au sein des océans et que le retrait progressif des eaux a contraint certaines espèces à s’adapter à leur nouvel environnement.

 

B.      Jean-Baptiste René Robinet (1735-1820)

 

Dans son traité De la Nature, paru en 1761, ce philosophe naturaliste formule deux idées :

-        d’une part, tous les êtres naturels, depuis les minéraux jusqu’à l’homme, ne sont que les formes indéfiniment multipliées et diversifiées d’un élément générateur unique, ou prototype ;

-        d’autre part, ils représentent la série de tous les essais de manière à former une chaîne ininterrompue dont les éléments sont de plus en plus perfectionnés, pour parvenir à l’être humain, le chef-d’œuvre !

 

Ces idées sont également développées dans ses Considérations philosophiques de la gradation des formes de l’être, ou les essais de la nature qui apprend à faire l’homme et dans son Parallèle de la condition et des facultés de l’homme avec la condition et les facultés des autres animaux, parus en 1768 et 1769.

 

Il écrit ainsi : « Dans la suite prodigieusement variée des animaux inférieurs à l’homme, je vois la Nature en travail avancer en tâtonnant vers cet Être excellent qui couronne son œuvre. Quelque imperceptible que soit le progrès qu’elle fait à chaque pas, c’est-à-dire à chaque production nouvelle, à chaque variation réalisée du dessein primitif, il devient très sensible après un certain nombre de métamorphoses. […] Lorsqu’on étudie la machine humaine, cette multitude immense de systèmes combinés en un seul, cette énorme quantité de pièces, de ressorts, de puissances, de rapports, de mouvements, dont le nombre accable l’esprit, quoiqu’il n’en connaisse que la moindre partie, on ne s’étonne pas qu’il ait fallu une si longue succession d’arrangements et de déplacements, de compositions et de dissolutions, d’additions et de suppressions, d’altérations, d’oblitérations, de transformations de tous les genres, pour amener une organisation aussi savante et aussi merveilleuse.[1] »

 

 

« Je crois bien que la Nature a toujours procédé du moins composé au plus composé […] Puisque la Nature ne se répète point, chaque génération doit amener quelques différences, et ces différences doivent produire des altérations considérables dans le modèle prototype : elles doivent supprimer d’anciennes parties, transformer les combinaisons, varier les résultats, et rendre à la fin ce modèle original très différent de lui-même » (cité par Rostand).

C’est un finaliste et un progressiste convaincu !

 

Malheureusement cette belle intuition perd de son crédit lorsqu’il voit dans les fossiles, les plantes, les minéraux, des ébauches d’organes humains, « la Nature s’essayant à faire l’homme ».

 

Robinet est également l’un des continuateurs de l’Encyclopédie, dont il fait paraître, en 1776-1777, un Supplément en quatre volumes, en collaboration notamment avec Charles-Joseph Panckoucke. Il participe en outre à l’édition en 30 volumes du Dictionnaire universel des sciences morale, économique, politique et diplomatique, ou Bibliothèque de l’homme-d'état et du citoyen, en 1777-1778.

 

C.     Charles Bonnet (1720-1793)

 

Ce philosophe et biologiste suisse était un chaud partisan de la parthénogénèse[2]. On lui doit la description de la parthénogénèse chez le puceron.

 

Dans ses Considérations sur les corps organisés, qu’il publie en 1762, il insiste sur la difficulté de faire une distinction franche entre les diverses espèces, les genres et même les classes. De plus, il y défend sa théorie sur la préexistence des germes. Pour lui, la production d'un nouvel être vivant est due à l'évolution d'un germe préexistant. Cette théorie permet d'expliquer l'apparition des êtres sans contredire la Bible, tous les germes ayant été créés lors de la Genèse. En ce sens on peut le considéré comme étant créationniste.

Dans ses traités sur la nature, il s'attache à montrer que tous les êtres forment une échelle ininterrompue, la « chaîne des êtres » ; que tous proviennent de ces fameux germes préexistants. Pour lui, au commencement, il existait moins d’espèces qu’actuellement. Il attribue leur multiplication au climat, à la nourriture, idée déjà rencontrée précédemment (Buffon, Delamétherie, etc.) et à l’hybridation comme chez Linné.

 

Mais son œuvre la plus ambitieuse est sans doute sa Palingénésie philosophique (1769) dans laquelle il poursuit une idée de Leibniz. Il y défend l'immortalité de l'âme de l'être humain mais aussi de celle des animaux. C'est un vaste essai où il puise à des connaissances très vastes comme la géologie, la biologie, la psychologie et la métaphysique pour décrire la vie sur Terre et son futur.

 

En définitive, le transformisme de Bonnet se limite aux espèces et ne s’élargit que pour devenir métaphysique. L’homme est voué à devenir un ange et à accomplir sa destiné au ciel ! Comme Robinet, il est finaliste.

 

D.     Pierre Louis Moreau de Maupertuis (1698-1759)

 

Ce philosophe, mathématicien, physicien, astronome et naturaliste, est le fils d’un corsaire malouin anobli par Louis XIV. Il est surtout connu pour son principe de moindre action qu’il définit comme suit dans son « Principe de la moindre quantité d'action pour la mécanique » (1744).

 

« L'Action est proportionnelle au produit de la masse par la vitesse et par l'espace. Maintenant, voici ce principe, si sage, si digne de l'Être suprême : lorsqu'il arrive quelque changement dans la Nature, la quantité d'Action employée pour ce changement est toujours la plus petite qu'il soit possible. »

 

Près d’un siècle et demi avant la révolution quantique, il ouvre la voie conceptuelle de l’intégrale des chemins[3] de Feynman et de l’électrodynamique quantique.

 

C’est lui qui introduira en France la théorie de l’attraction universelle de Newton (1643-1727)  qu’il découvre lors d’un voyage à Londres en 1728 ; théorie allant à l’encontre de la doctrine officielle qui est celle de Descartes (1596-1650). Celle-ci stipulait que les mouvements des planètes étaient dus à leur entrainement par des « tourbillons d’une matière subtile occupant les espaces intersidéraux ». De plus, il mettra fin à une polémique qui opposait les newtoniens aux cassiniens. Newton avait démontré, par des considérations théoriques, que la forme de la terre était un ellipsoïde de révolution aplati aux pôles, contrairement à l’astronome Jacques Cassini (1677-1756) qui affirmait qu’elle était allongée aux pôles. Deux expéditions furent financées par Louis XV, à l’instigation de Maupertuis, afin de déterminer la forme réelle de la terre. L’une devait mesurer un arc de méridien à l’équateur, l’autre, à laquelle participa notre savant, au cercle polaire. Les résultats des mesures effectuées lors de ces expédions donnèrent raison à Newton.

 

Maupertuis s’intéressait également à la biologie et plus particulièrement à l’hérédité. Il s’oppose dès 1745 à la théorie de la préformation[4] de l’embryon, en vogue à l’époque, en affirmant que les deux parents ont une influence égale sur l’hérédité.

 

« Si tous les animaux d’une espèce étaient déjà formés et contenus dans un seul père ou une seule mère, soit sous la forme de vers, soit sous la forme d’œufs, observerait-on ces alternatives de ressemblances ? Si le fœtus était le ver qui nage dans la liqueur séminale du père, pourquoi ressemblerait-il quelque fois à la mère ? S’il n’était que l’œuf de la mère, que sa figure aurait-elle de commun avec celle du père ? Le petit cheval déjà tout formé dans l’œuf de la jument prendrait-il des oreilles d’âne, parce qu’un âne aurait mis les parties de l’œuf en mouvement ? » (cité par Buican).

 

Dans ce passage, il fait allusion aux deux hypothèses de préformation de l’embryon en vigueur à l’époque : l’ovisme et l’animalculisme.

Pour l'ovisme, l'embryon est préformé dans l’utérus de la femelle. L’hérédité dans ce cas vient de la mère, et le sperme est inutile ou il apporte une aura seminalis, une essence vitale qui animera l'embryon.

Selon l’animalculisme, le sperme de l'homme contient une version miniature du futur enfant à naître (l'homoncule), entièrement formée et opérationnelle, mais si petite qu'elle en est invisible à l'œil nu. L'utérus de la mère ne joue que le rôle d'un réceptacle, d'un "nid" dans lequel l'homoncule est déposé lors de l'acte sexuel pour s'y développer et grandir. L'hérédité de l'enfant ne dépend donc que du père, la mère se contentant de jouer le rôle d'une "couveuse". 

 

Ses idées sur la question sont en grande partie exprimées dans « Vénus physique » (1746) qui contient deux dissertations, l’une sur l’origine des hommes et des animaux, l’autre sur l’origine des Noirs. Il y pose le problème des variations héréditaires et des races qui composent l’espèce humaine, et tente d’expliquer les « variétés dans les animaux ».

 

« Il y a sans doute quelque analogie dans les moyens que les différentes espèces d’animaux emploient pour se perpétuer : car malgré la variété infinie qui est dans la Nature, les changements n’y sont jamais subits. Mais, dans l’ignorance où nous sommes nous courons toujours le risque de prendre pour des espèces voisines des espèces si éloignées, que cette analogie, qui d’une espèce à l’autre ne change que par des nuances insensibles, se perd ou du moins est méconnaissable dans les espèces que nous voulons comparer. » (Vénus physique, chapitre XI).

 

Sa « Dissertation Physique à l’occasion du Nègre Blanc » publiée l’année précédente, à l’occasion de la polémique soulevée par l’exposition d’un Noir albinos dans certains salons à la mode de Paris, contenait déjà une première contribution à sa théorie génétique. Pour lui, la couleur blanche des noirs albinos est une anomalie héréditaire due à une mutation.

 

La nature de la fécondation retient également son attention. La semence pénètre-t-elle dans la matrice ?

 

« Un fameux anatomiste (Verheyen) en a trouvé [de la semence] en abondance dans la matrice d’une génisse […] Un seul cas où on l’y a trouvée prouve mieux qu’elle y entre que la multitude des cas où l’on n’y a pas trouvé ne prouve qu’elle n’y entre pas » (cité par Ostoya).

 

Toutefois, comme ses contemporains il n’en soupçonne pas la vraie nature. Il conclut en faveur du mélange des deux semences. Celles-ci contiennent des particules (parties ou éléments) provenant de tous les organes qui sont ainsi, en quelque sorte, représentés en puissance. Ces particules s’unissent dans l’embryon pour reformer un individu semblable aux parents. C’est selon leur nombre, leur affinité et aussi le hasard de leur réunion quel tel ou tel caractère prédomine.

 

Son attitude matérialiste, due à sa connaissance des théories newtoniennes et son intérêt pour l’hérédité le pousse à critiquer l’idée de « formation simultanée du monde », c’est-à-dire de création unique, et à développer une théorie de la vie qui s’apparente au mutationnisme du botaniste néerlandais Hugo Marie de Vries (1848-1935). Maupertuis fut en fait un précurseur dans le domaine du mutationnisme évolutionniste.

 

Il tente de fournir une explication physique à l’origine des êtres vivants. Il considérait que les premières formes de vie étaient apparues par génération spontanée à partir de combinaisons au hasard de matières inertes, molécules ou germes. La découverte des infusoires à l’aide du microscope est à la base de cette hypothèse. Maupertuis considérait qu’à partir des premières formes de vie apparues par génération spontanée, une série de mutations fortuites, répétées au cours du temps pouvait engendrer une multiplication toujours croissante d’espèces, expliquant la grande diversité des espèces sur Terre.

 

Pour étayer sa théorie, il fait appel à quatre hypothèses fondamentales du transformisme :

-        L’influence du milieu (climat, alimentation, etc.) ;

-        L’hérédité des caractères acquis au cours de la vie ;

-        Des changements fortuits au sein d’une espèce peuvent être à l’origine de nouvelles espèces : effet du hasard ;

-        L’élimination des individus « inaptes ».

 

Malheureusement, son adhésion à la génération spontanée l’empêche d’émettre clairement l’hypothèse d’un ancêtre commun à tous les animaux. L’évolution, selon lui, se fait au hasard, « par accident », il s’agit de « productions fortuites ».

 

Il manqua peu à Maupertuis pour élaborer l'hypothèse de la sélection naturelle. En effet, dans son Essai sur la formation de corps organisés il cite à plusieurs reprises la formation de nouvelles races par la sélection artificielle et certains passages semblent invoquer la sélection naturelle

 

« La Nature contient le fonds de toutes ces variétés, mais le hasard ou l’art les mettent en œuvre. C’est ainsi que ceux dont l’industrie s’applique à satisfaire le goût des curieux sont, pour ainsi dire, créateurs d’espèces nouvelles. Nous voyons paraître des races de chiens, de pigeons, de serins, qui n’étaient point auparavant dans la Nature. Ce n’ont été d’abord que des individus fortuits ; l’art et les générations répétées en ont fait des espèces ».

« La couleur noire est aussi inhérente aux corbeaux et aux merles qu’elle l’est aux Nègres ; j’ai cependant vu plusieurs fois des merles et des corbeaux blancs. Et ces variétés formeraient vraisemblablement des espèces si on les cultivait. »

 

Dans cet extrait, il est question de sélection artificielle faite par l’homme.

 

« Ne pourrait-on pas dire que, dans la combinaison fortuite des productions de la Nature, comme il n’y avait que celles où se trouvaient certains rapports de convenance qui puissent subsister, il n’est pas merveilleux que cette convenance se trouve dans toutes les espèces qui actuellement existent ? Le hasard, dira-t-on, avait produit une multitude innombrable d’individus ; un petit nombre se trouvait construit de manière que les parties de l’animal pouvaient satisfaire à ses besoins ; dans un autre infiniment plus grand, il n’y avait ni convenance ni ordre, tous ces derniers ont péri : des animaux sans bouche ne pouvaient pas vivre ; d’autres qui manquaient d’organes pour la génération ne pouvaient pas se perpétuer ; les seuls qui soient restés sont ceux où se trouvaient l’ordre et la convenance, et ces espèces que nous voyons aujourd’hui ne sont que la plus petite partie de ce qu’un destin aveugle avait produit » (Essai de Cosmologie, 1750).

 

S’il s’agit d’une sélection naturelle, elle est bien grossière. Elle n’implique pas la notion d’une évolution graduelle, mais elle se limite plutôt à éliminer les êtres invivables.

Par contre son hypothèse d’un transformisme intégral s’appuie sur certaines mutations ou monstruosités accidentelles.

 

« Ne pourrait-on pas expliquer par là comment de deux seuls individus la multiplication des espèces les plus dissemblables aurait pu s’ensuivre ? Elles n’auraient dû leur première origine qu’à quelques productions fortuites, dans lesquelles les parties élémentaires n’auraient pas retenu l’ordre qu’elles tenaient dans les animaux pères et mères : chaque degré d’erreur fait une nouvelle espèce ; et à force d’écarts répétés serait venue la diversité infinie des animaux que nous voyons aujourd’hui ; qui s’accroîtra peut-être encore avec le temps, mais à laquelle peut-être la suite des siècles n’apporte que des accroissements insensibles » (Essais sur la formation des corps organisés).

 

Cependant, Maupertuis était essentialiste, c’est-à-dire qu’il définissait à priori chaque espèce comme étant nettement distincte de ses voisines sur le plan de la taxonomie, même s’il acceptait la production de nouvelles espèces.

 

A propos de l’hérédité des caractères acquis, on peut lire dans sa Vénus physique, ceci :

« Les Chinois se sont avisés de croire qu’une des plus grandes beautés des femmes serait d’avoir des pieds sur lesquels elles ne puissent pas se soutenir. Cette Nation si attachée à suivre en tout les opinions et les goûts de ses ancêtres est parvenue à avoir des femmes avec des pieds ridicules […] Au reste, on ne doit pas attribuer à la Nature seule la petitesse du pied des Chinoises : pendant les premiers temps de leur enfance, on tient leurs pieds serrés pour les empêcher de croître. Mais il y a grande apparence que les Chinoises naissent avec des pieds plus petits que les femmes des autres  nations. »

 

« Ce serait assurément quelque chose qui mériterait bien l’attention des philosophes, que d’éprouver si certaines singularités artificielles des animaux ne passeraient pas après plusieurs générations aux animaux qui naîtraient de ceux-là. Si des queues ou des oreilles coupées de génération en génération ne diminueraient pas ou même ne s’anéantiraient pas à la fin. » (cité par Ostoya).

 

Tandis que dans le passage suivant, il fait jouer l’influence des conditions externes.

 

« Quoique je suppose que le fonds de toutes ces variétés se trouve dans les liqueurs séminales mêmes, je n’exclus pas l’influence que le climat et les aliments peuvent y avoir. Il semble que la chaleur de la Zone torride soit plus propre à fomenter les parties qui rendent la peau noire, que celles qui la rendent blanche : et je ne sais jusqu’où peut aller cette influence du climat ou des aliments, après de longues suites de siècles. » (cité par Ostoya).

 

On trouve également dans son œuvre la notion d’adaptation aux conditions environnementales de survie.

 

« Le Serpent, qui ne marche ni ne vole, n’aurait pu se dérober à la poursuite des autres animaux si un nombre prodigieux de vertèbres ne donnaient à son corps tant de flexibilité qu’il rampe plus vite que plusieurs animaux qui marchent […] ; il se serait blessé en rampant, si son corps n’eût été recouvert d’une peau lubrique et écailleuse » (cité par Ostoya).

 

On peut dire que Maupertuis fut l’un des précurseurs de la génétique moderne, et le premier a énoncé de façon intégrale l’hypothèse transformiste. Sous certains aspects, les idées de Maupertuis sont plus proches des conceptions actuelles que ne le furent celles de nombre de ses successeurs comme Lamarck.

 

E.      Denis Diderot (1713-1784)

 

Le nom de cet érudit à l’esprit critique est attaché à un monument de la littérature du « Siècle des Lumières », l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Diderot consacrera près de 20 ans de sa vie à superviser l’édition de son œuvre magistrale (1747-1765). Celle-ci apportera une contribution essentielle à l’évolution des mentalités en France et en Europe, alors imprégnée par la langue et la culture française. L’Encyclopédie peut se situer à l’avant-garde de la science et de la pensée de l’époque.

Diderot est plus un penseur qu’un philosophe. Il ne cherche pas à créer un système philosophique complet, ni une quelconque cohérence : il remet en question, éclaire un débat, soulève les paradoxes, laisse évoluer ses idées, constate sa propre évolution et ne tranche pas. Il incite le lecteur à développer ses propres réflexions sur la base de différents arguments.

 

« Jeune homme, prends et lis. Si tu peux aller jusqu'à la fin de cet ouvrage, tu ne seras pas incapable d'en entendre un meilleur. Comme je me suis moins proposé de t'instruire que de t'exercer, il m'importe peu que tu adoptes mes idées ou que tu les rejettes, pourvu qu'elles emploient toute ton attention. Un plus habile t'apprendra à connaître les forces de la nature; il me suffira de t'avoir fait essayer les tiennes. »

 

Dans « La lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient » (1749), la pensée de Diderot montre pertinemment un glissement vers l’athéisme en même temps que la découverte d’une conception différente de la nature qui exprime clairement sa vision matérialiste.

 

« Mais le mécanisme animal fût-il aussi parfait que vous le prétendez, et que je veux bien le croire, car vous êtes un honnête homme très incapable de m'en imposer, qu'a-t-il de commun avec un être souverainement intelligent ? S'il vous étonne, c'est peut-être parce que vous êtes dans l'habitude de traiter de prodige tout ce qui vous paraît au-dessus de vos forces. J'ai été si souvent un objet d'admiration pour vous, que j'ai bien mauvaise opinion de ce qui vous surprend. […] Un phénomène est-il, à notre avis, au-dessus de l'homme ? Nous disons aussitôt : c'est l'ouvrage d'un Dieu ; notre vanité ne se contente pas à moins. Ne pourrions-nous pas mettre dans nos discours un peu moins d'orgueil, et un peu plus de philosophie ? Si la nature nous offre un nœud difficile à délier laissons le pour ce qu'il est et n'employons pas à le couper la main d'un être qui devient ensuite pour nous un nouveau nœud plus indissoluble que le premier. Demandez à un Indien pourquoi le monde reste suspendu dans les airs, il vous répondra qu'il est porté sur le dos d'un éléphant et l'éléphant sur quoi l'appuiera-t-il ? sur une tortue ; et la tortue, qui la soutiendra ?... Cet Indien vous fait pitié et l'on pourrait vous dire comme à lui : Monsieur Holmes mon ami, confessez d'abord votre ignorance, et faites-moi grâce de l'éléphant et de la tortue. » (Lettre sur les aveugles).

 

Cette œuvre fit scandale dans les milieux dévots de la cour et lui causera des ennuis avec la censure. Cela le conduira à un emprisonnement de trois mois au château de Vincennes. Sur sa fiche signalétique on peut lire :

 

« C’est un jeune homme qui fait le bel esprit et se fait trophée d’impiété, très dangereux ; parlant des saints Mystères avec mépris ».

 

Dans le schéma de l’origine et de la variabilité du monde vivant  développé dans « La lettre », on ne trouve pas encore de processus d’évolution. Selon notre penseur, les organismes naissent spontanément par des combinaisons fortuites de molécules (Buican).

 

Dans ses « Pensées sur l’interprétation de la Nature » (1753), Diderot aborde la biologie et y discute longuement l’hypothèse formulée en 1751 par Maupertuis qui veut rendre compte du « mystère le plus incompréhensible de la nature, la formation des animaux, ou plus généralement celle de tous les corps organiques » (cité par Rostand). Il en fait un exposé complaisant :

 

« Qui empêchera, dit-il, les parties élémentaires, intelligentes et sensibles, de s’écarter à l’infini de l’ordre qui constitue l’espèce ? De là une infinité d’espèces d’animaux sortis d’un premier animal ; une infinité d’êtres animés d’un premier être ; un seul acte dans la nature » (cité par Rostand).

 

En fait, Diderot rejette dans un premier temps cette hypothèse car elle mène au panthéisme, voire au matérialisme et se heurte à deux écueils : la « collection universelle des phénomènes et l’existence de Dieu » (cité par Rostand). On peut se demander si Diderot est sincère où s’il cherche à éviter les foudres de la censure. Pourtant, plus loin dans le même écrit, il développe, complaisamment l’hypothèse nouvelle de l’origine des espèces et proclame éloquemment l’unité de plan ou d’inspiration de la nature vivante :

 

« Il semble que la nature se soit plu à varier le même mécanisme d’une infinité de manières différentes. Elle n’abandonne un genre de productions qu’après en avoir multiplié les individus sous toutes les faces possibles. Quand on considère le règne animal et qu’on s’aperçoit que, parmi les quadrupèdes, il n’y en a pas un qui n’ait les fonctions et les parties, surtout intérieures, entièrement semblables à un autre quadrupède, ne croirait-on pas volontiers qu’il n’y a jamais eu qu’un premier animal, prototype de tous les animaux, dont la nature n’a fait qu’allonger, raccourcir, transformer, multiplier, oblitérer certains organes ? Imaginez les doigts de la main réunis, et la matière des ongles si abondante que, venant à s’étendre et à se gonfler, elle enveloppe et couvre le tout : au lieu de la main d’un homme, vous aurez le pied d’un cheval. Quand on voit les métamorphoses successives de l’enveloppe du prototype, quel qu’il ait été, approcher un règne d’un autre règne par des degrés insensibles, et peupler les confins des deux règnes (s’il est permis de se servir du terme de confins où il n’y a aucune division réelle), et peupler, dis-je, des deux règnes, d’êtres incertains, ambigus, dépouillés en grande partie des formes, des qualités, des fonctions de l’autre, qui ne se sentirait porté à croire qu’il n’y a jamais eu qu’un premier prototype de tous les êtres ? […]

« Mais que cette conjecture philosophique soit admise avec le Dr Baumann[5] comme vraie, ou rejetée avec M. de Buffon comme fausse, ne niera pas qu’il ne faille l’embrasser comme une hypothèse essentielle au progrès de la physique expérimentale, à celui de la philosophie rationnelle, à la découverte et à l’explication des phénomènes qui dépendent de l’organisation ».

 

Bien que l’idée d’un prototype puisse faire penser que Diderot adhère à la cause transformiste, elle ne donne pas naissance à une thèse évolutionniste explicite. Il n’affirme pas que la nature ait évolué des formes simples vers des formes plus complexes. Bien qu’il envisage la génération spontanée d’êtres évolués, il insiste en plusieurs endroits de son œuvre sur la continuité des formes vitales et même sur une dynamique des espèces biologiques (Buican).

 

« […] De même que, dans les règnes animal et végétal, un individu commence, pour ainsi dire, s’accroît, dure, dépérit et passe ; n’en serait-il pas de même des espèces entières ? Si la foi ne nous apprenait pas que les animaux sont sortis des mains du Créateur tels que nous les voyons, et s’il était permit d’avoir le moindre doute sur leur commencement et sur leur fin, le philosophe abandonné à ses conjectures ne pourrait-il pas soupçonner que l’Animalité avait de toute éternité ses éléments particuliers, épars et confondus dans la masse de la matière ; qu’il est arrivé à ces éléments de se réunir, parce qu’il était possible que cela se fit ; que l’embryon formé de ces éléments a passé par une infinité d’organisations et de développements ; qu’il a eu par succession, du mouvement, de la sensation, des idées, de la pensée, de la réflexion, de la conscience, des sentiments, des passions, des signes, des sons,  des sons articulés, une langue, des lois, des sciences et des arts ; qu’il s’est écoulé des millions d’années entre chacun de ces développements ; qu’il a peut-être encore d’autres développements à subir, et d’autres accroissements à prendre, qui nous sommes inconnus ; qu’il a eu ou qu’il aura un état stationnaire ; qu’il s’éloigne, ou qu’il s’éloignera de cet état par un développement éternel, pendant lequel ses facultés sortiront de lui comme elles y étaient entrées ; qu’il disparaîtra pour jamais de la Nature, ou plutôt qu’il continuera d’y exister, mais sous une forme et avec des facultés tout autres que celles qu’on lui remarque dans cet instant de la durée ? […] La religion nous épargne bien des écarts et bien des travaux » (Pensées sur l’Interprétation de la Nature, 1753).

 

La dernière phrase est-elle une réaction de prudence ou une pointe d’ironie ? Diderot est passé du déisme à l’athéisme en l’espace de trois ans (1746-1749), mais son séjour au château de Vincennes doit le rendre méfiant et circonspect.

 

Ses œuvres sont émaillées de maintes allusions à la transformation des espèces, où l’on sent qu’il semble avoir saisi l’importance du facteur temps. Ainsi, dans « Le Rêve d’Alembert » (écrit en 1769, mais publié en 1830) on trouve le passage suivant :

 

« Qui sait à quel instant de la succession de ces générations animales nous en sommes ? Qui sait si ce bipède déformé, qui n’a que quatre pieds de hauteur, qu’on appelle encore dans le voisinage du pôle un homme, et qui ne tarderait pas à perdre ce nom en se déformant un peu davantage, n’est pas l’image d’une espèce qui passe ? Qui sait s’il n’en est pas ainsi de toutes les espèces d’animaux ? […] Peut-être faut-il, pour renouveler les espèces, dix fois plus de temps qu’il n’en est accordé à leur durée ? »

 

Et dans « Elément de physiologie » (1774-1784) :

 

« Il  ne faut pas croire qu’ils [les animaux] ont toujours été et qu’ils resteront toujours tels que nous les voyons […] Pourquoi la longue série des animaux ne serait-elle pas des développements différents d’un seul ? »

 

On trouve également des prémisses d’une sélection qui tend à supprimer les êtres monstrueux.

 

« Il y a des êtres contradictoires ; ce sont ceux dont l’organisation ne s’arrange pas avec le reste de l’univers. La Nature aveugle qui les produit les extermine ; elle ne laisse subsister que ceux qui peuvent coexister supportablement avec l’ordre général qui vantent ses panégyristes » (Eléments de physiologie).

 

Il en arrive à une idée original qui le conduit à des rapports de quasi-identité entre le normal et le monstrueux (Buican).

 

« Pourquoi l’homme, pourquoi les animaux ne seraient-ils des espèces de monstres un peu plus durables ? Le monstre naît et passe. La nature extermine l’individu en moins de cent ans. Pourquoi les espèces animales ne seraient-elle pas, elles aussi, exterminées par la nature dans une plus longues succession de temps ? […] L’univers ne me semble quelquefois qu’un assemblage d’êtres monstrueux. L’espèce humaine n’est […] qu’un amas d’individus plus ou moins contrefaits, plus ou moins malades. […] Qu’est-ce qu’un monstre ? Un être dont la durée est incompatible avec l’ordre subsistant […] » (Eléments de physiologie).

 

Ceci montre bien que Diderot rejette l’optimisme biologique des adeptes des causes finales. Pour lui, la vraie science est incompatible avec la recherche de la finalité (Buican).

 

Point supplémentaire, Diderot a devancé Lamarck quant à l’idée de l’influence modifiante des besoins sur la forme, et de la transmission par hérédité des modifications ainsi produites (Rostand).

 

Ainsi, dans son « Eléments de physiologie », sous la rubrique « Conformation héréditaires », on trouve des accents précurseurs de l’ « hérédité de l’acquis » cher à Lamarck.

 

« L’organisation détermine les fonctions et les besoins ; et quelquefois les besoins refluent sur l’organisation, et cette influence peut aller quelquefois jusqu’à produire des organes, toujours jusqu’à les transformer. »

« Le défaut continuel d’exercice anéantit les organes. L’exercice violent les fortifie et les exagère. Rameur à gros bras, portefaix à gros dos. »

 

Ses idées lamarckiennes sont tout aussi explicites dans son ouvrage posthume, « Le Rêve d’Alembert », où il fait dialoguer le médecin Bordeu avec Mlle de Lespinasse.

 

« Bordeu : Les organes produisent les besoins, et réciproquement les besoins produisent les organes.

Mlle de Lespinasse : Docteur, délirez-vous aussi ?

Bordeu : Pourquoi non ? J’ai vu deux moignons devenir à la longue deux bras.

Mlle de Lespinasse : Vous mentez.

Bordeu : Il est vrai ; mais à défaut de deux bras qui manquaient j’ai vu deux omoplates s’allonger, se mouvoir en pince, et devenir deux moignons.

Mlle de Lespinasse : Quelle folie !

Bordeu : C’est un fait : supposez une longue série de générations manchotes, supposez des efforts continus, et vous verrez les deux côtés de cette pincette s’étendre, s’étendre de plus en plus, se croiser sur le dos, revenir par devant, peut-être se diriger à leurs extrémités, et refaire des bras et des mains. La conformation originelle s’altère ou se perfectionne par la nécessité et les fonctions habituelles. Nous marchons si peu, nous travaillons si peu et nous pensons tant que je ne désespère pas que l’homme ne finisse par n’être qu’une tête…

Mlle de Lespinasse : Une tête ! Une tête ! C’est bien peu de chose. J’espère que la galanterie effrénée… Vous me faites venir des idées bien ridicules… »

 

Je termine ici l’analyse de l’œuvre de Diderot en insistant sur l’immense mérite d’avoir été un précurseur du transformisme, constituant la base de l’évolutionnisme qui se développera au XIXe siècle.

 

F.      Erasmus Darwin (1731-182)

 

Grand-père de Charles, Erasmus Darwin était un touche-à-tout : poète, médecin, botaniste et inventeur. Il est l’auteur d’un texte original, Zoonomie ou Lois de la vie organique (1794) qui est avant tout une dissertation sur les mécanismes de la physiologie humaine, et dans lequel il classe les maladies selon une méthode calquée sur celle de Linné pour les plantes, et les explique toutes par l’excitabilité[6]. On y trouve également quelques courts passages dans lesquels Erasmus envisage favorablement la transmutation organique (Gould). Dans la section intitulée « De la génération », on peut lire ceci :

 

« Serait-il trop audacieux d’imaginer que depuis la naissance de la Terre il y a bien longtemps […] tous les animaux à sang chaud soient provenus d’un seul élément vivant […] possédant la faculté de s’améliorer continuellement par sa propre activité, et de transmettre ces améliorations par la reproduction à sa descendance, et ainsi de suite indéfiniment ? »

 

On voit dans cet extrait qu’Erasmus base le mécanisme évolutif sur la transmission des caractères obligatoirement utiles acquis par les organismes durant leur vie, contrairement au lamarckisme orthodoxe. Pour lui, de nouvelles structures n’apparaissent que si leur besoin s’en fait sentir et ce par le biais d’efforts fournis par l’organisme dans un but précis. Ces adaptations, il les rangeait dans trois catégories : la reproduction, la défense et l’alimentation.

Voici se qu’il disait à propos de la dernière :

 

« Tous les appareils qui s’y rapportent […] paraissent avoir été graduellement élaborés durant de nombreuses générations par les efforts constants des organismes en vue de se nourrir, et ab-voir été transmis à leur descendance dans une forme constamment améliorée en fonction des buts poursuivis ».

 

La durée du temps qui se compte en millions d’années joue un rôle important dans l’application de ces processus. Il opte pour un transformisme généralisé qui le fait conclure dans un autre ouvrage que la « Cause des causes », le « Grand Architecte »[7] avait « engendré » le monde et non « créé » le monde. Après une impulsion initiale, le monde physique suit son cours sans avoir besoin de l’intervention d’un créateur.

 

En conclusion, on peut avancer qu’Erasmus Darwin avait une conception de la nature parfaitement historique et évolutionniste.

 

G.     Pierre Jean Georges Cabanis (1757-1808)

 

Le plus importants des ouvrages de ce médecin, physiologiste et philosophe, est son « Rapport du physique et du moral de l'homme (1802). Cabanis y traite de la part des organes dans la formation des idées, de l'influence des âges, des sexes, des tempéraments, des maladies, du régime; ainsi que de la réaction du moral sur le physique. Il y explique tout par des causes purement physiques, y enseigne le matérialisme, et va jusqu'à dire que le cerveau digère les impressions et sécrète la pensée comme l'estomac digère les aliments.

Cabanis y postule également que les espèces évoluent, sur de longues périodes de temps,  sous l’action des conditions environnementales et de mutations fortuites transmissibles à la descendance. Sur ce dernier point, il se rapproche plus de Maupertuis que de Lamarck.

 

H.     Autres personnages ayant affiché des tendances transformistes

 

Au tournant des XVIIIe et XIXe siècles d’autres naturalistes vont émettre quelques idées transformistes :

 

·       L’abbé Jean-Louis Giraud-Soulavie (1752-1813)

Ce géographe, géologue, vulcanologue et historien français nous a laissé une « Histoire naturelle de la France méridionale » en 7 volumes publiée de 1780 à 1784, et une « Chronologie physique des éruptions des volcans éteints de France méridionale depuis celles qui avoisinent la formation de la terre, jusques à celles qui sont décrites dans l’histoire » (17810

 

·       Philippe Bertrand (1730-1811)

Cet ingénieur de ponts et chaussés à Clermont-Ferrand a commis, en 1797, un ouvrage intitulé « Nouveaux Principes de géologie, comparés et opposés à ceux des philosophes anciens et modernes, notamment de J.-C. Lamétherie, qui les a tous analysés dans sa Théorie de la Terre ; ou manière plus simple d'observer et d'expliquer, l'un par l'autre, les principaux faits naturels ; avec un abrégé de la géologie nouvelle », dans lequel on trouve une théorie de l’émersion des terres et l’origine des espèces assez analogue à celle défendue par de Maillet dans son « Telliamed ».

 

« C'est, dira-t-on, parce que la vitalité dans l'eau est fort différente de celle sur terre et en plein air. Cela est vrai. Mais je puis répondre que les grandes différences qu'on croit y apercevoir ne sont pas dans le principe de vie ; qu'elles sont uniquement dans la manière de vivre ; que cette manière est nécessairement aussi variée que la conformation ; et que tous les organes, tant internes qu'externes, ont commencé, continué et fini de se former, tels que les vouloit le milieu auquel ils se destinoient ; ou plutôt, celui dans lequel ils se sont trouvés.

 

Ainsi, dans les tems sur-tout, où les conceptions et les naissances se faisoient avec la plus grande fécondité, l'organisation a pu se modifier et changer à bien des égards, en changeant d'élément, en passant de l'eau dans l'air. Une immense quantité de corps marins a échoué par la retraite de la mer : mais on pourroit assurer qu'ils n'ont pas tous péri ; que dans plusieurs, le nouvel élément a ouvert, nécessité et développé de nouveaux organes, de nouvelles facultés, pour la respiration et pour les autres fonctions des animaux terrestres : ce sont probablement les nageoires, elles-mêmes, qui se sont converties en ailes, en épaules, en cuisses &c. »

 

·       Eugène-Louis-Melchior Patrin (1742-1815)

Ce minéraliste et naturaliste français est connu pour son « Histoire naturelle des minéraux » en 5 volumes (1800-1801). Il y décrit l’usage des pierres et des terres, les propriétés des minéraux, leur exploitation, les gîtes des différents métaux, leurs filons, les eaux et les gaz qui circulent sous terre, la formation des montagnes, des minéraux, des météorites, du globe terrestre, des volcans.

Ses connaissances, il les a acquises lors d’un voyage de sept ans en Sibérie (1780-1787) d’où il ramena une exceptionnelle collection de minéraux.

 

·       Jean-André Deluc (1727-1817)

Ce scientifique suisse s’est surtout occuper de météorologie et de géologie. Il a parcouru pratiquement toute l’Europe pour recueillir ses observations. Parmi ses ouvrages retenons :

·         Lettres physiques et morales sur l’Histoire de la Terre et de l’Homme adressées à la reine de la Grande-Bretagne  (1778-1780) ;

·         Éléments de géologie ;

·         Voyages géologiques (1810).

Deluc, dans ses Lettres à la reine d’Angleterre, lui donne un véritable cours de géologie basé sur le retrait progressif des mers laissant au sec nos continents actuel. Pour expliquer l’apparition de nouvelles espèces de poissons d’eau douce, il parle de transmutation.

 

« Voilà donc des Poissons d’eau douce, & qui cependant sont venus de la mer. C’est là un fil qui nous conduit déjà fort avant dans cette classe de Phénomènes ; car il nous fait jeter les yeux sur tant d’Isles volcaniques qui existent, & sont habitées, & place tous leurs Poissons d’eau douce dans la Classe de ceux qui peuvent, sans secours particulier, passer de la Mer dans les Rivières ; & s’il est bien sûr qu’il n’en est point dans la Mer qui leur ressemblent, il ne reste qu’à admettre, qu’ils ont perdu leur première apparence par changement d’Elément. […]

Enfin ces Lacs, qui d’abord ne furent que de l’eau même de la Mer, & qui se changèrent par degré en Lacs d’eau douce, furent un moyen de produire des transmutations qui n’auroient pu s’opérer par le passage immédiat des Poissons de la Mer dans les Rivières. Quelques espèces, susceptibles de ce changement, peuvent redouter l’eau douce à la première approche, & la fuir, ou même y périr ; tandis que leurs générations successives pourroient s’y faire à la longue ; et c’est ce dont nos Lacs leur fournirent le moyen. Il en resta dans ces Lacs avec l’eau de Mer ; l’eau y devint douce avec plus ou moins de lenteur, suivant leur étendue ; & quelques espèces de Poissons purent s’y habituer, par des changements dans le tempérament des générations successives ; d’où résultèrent aussi des différences sensibles dans leur apparence […] (Lettres physiques et morales sur l’Histoire de la Terre et de l’Homme adressées à la reine de la Grande-Bretagne)

 

Quant on parcourt l’œuvre de ce savant, on constate qu’il est catastrophiste à la manière d’Alexandre Brongniart bien qu’étant antérieur à celui-ci. Pour lui, la dernière grande catastrophe pourrait correspondre au déluge biblique.

 

(à suivre)

 

II.         BIBLIOGRAPHIE

 

Ø       Buican D. (2008) – L’odyssée de l’évolution, Ellipse.

 

Ø       Gould S.J. (1993) – La foire aux dinosaures, Seuil.

 

Ø       Lecointre G. (sous la direction) (2009) – Guide critique de l’évolution, Belin.

 

Ø       Ostoya P. (1951) – Les théories de l’évolution, Payot, Paris.

 

Ø       Rostand J. (1932) – L’évolution des espèces, Hachette.

 

Ø       http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste-Ren%C3%A9_Robinet

Ø       http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Bonnet_(naturaliste)

Ø       http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Louis_Moreau_de_Maupertuis

Ø       http://fr.wikipedia.org/wiki/Lettre_sur_les_aveugles_%C3%A0_l%27usage_de_ceux_qui_voient

Ø       http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/expo/tempo/defis/histoire/pop4.htm

Ø       http://books.google.be/books?id=d2AOAAAAQAAJ&printsec=frontcover&dq=Jean-Andr%C3%A9+DELUC&source=bl&ots=XeltiwItjr&sig=Fx-F80HkMKYtK1LaJDcwZqtg2Ms&hl=fr&ei=bXuZTeYUkbKEB7v7xfgI&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=8&ved=0CE4Q6AEwBw#v=onepage&q&f=false

 



[1] Considérations philosophiques de la gradation des formes de l’être, ou les essais de la nature qui apprend à faire l’homme, 1768, pp. 3-5.

[2] La parthénogenèse (ou parthénogénèse) est la multiplication à partir d'un gamète femelle non fécondé. Ce phénomène s'observe naturellement chez certaines espèces végétales et animales, mais peut également être provoqué artificiellement. La parthénogenèse est une reproduction monoparentale. Cette reproduction a un avantage sélectif car elle produit un grand nombre d'individus sans la présence de l'organisme mâle.

[3] Une intégrale de chemin (« path integral » en anglais) est une intégrale fonctionnelle, c'est-à-dire que l'intégrant est une fonctionnelle et que la somme est prise sur des fonctions, et non sur des nombres réels (ou complexes) comme pour les intégrales ordinaires. On a donc affaire ici à une intégrale en dimension infinie. Ainsi, on distinguera soigneusement l'intégrale de chemin (intégrale fonctionnelle) d'une intégrale ordinaire calculée sur un chemin de l'espace physique, que les mathématiciens appellent intégrale curviligne.

C'est Richard Feynman qui a introduit les intégrales de chemin en physique dans sa thèse, soutenue en mai 1942, portant sur la formulation de la mécanique quantique basée sur le lagrangien, qui est une fonction des variables dynamiques permettant d’écrire de manière concise les équations de mouvement du système envisagé.

 

[4] La théorie de la préformation a été formulée pour expliquer le développement embryonnaire par le déploiement de structures préexistantes dans l'œuf. 

[5] En 1751, alors qu’il était à Berlin, Maupertuis publia une thèse intitulée Dissertatio inauguralis, qui sera traduit par l’abbé Trublet, sous le titre Essai sur la formation des corps organisés et publié à Paris en 1754. Ensuite, en 1756, Maupertuis  sortit une version, « avec quelques additions » : Système de la Nature, Essai sur la Formation des corps organisés.

[6] Excitabilité : faculté d'être excité, d'entrer en action sous l'influence d'une cause extérieure. 

[7] Erasmus Darwin était franc-maçon.


10/05/2011
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Les fixismes

 

Evolution 4

Les fixismes

 

Robert Six

 

I.           Introduction

 

L’idée d’évolution des espèces n’est pas nouvelle lorsque Darwin publie, en 1859, son célèbre ouvrage, L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle. Déjà de nombreux érudits ont émis des remarques sur un transformisme possible. Ce qui fait surtout la différence et l’originalité de la théorie émise par Darwin, c’est l’hypothèse de la sélection naturelle, où la variation est conçue comme indépendante de la sélection.

 

Mais la théorie prédominante à l’époque est le fixisme, ou plutôt les fixismes. Cette conception statique traditionnelle de l’état du monde sera progressivement remplacée par une vision dynamique de son développement. Cette remise en question débute avec les conceptions cosmologiques du chanoine polonais Copernic (1473 – 1543), et surtout celles de Galilée (1564 – 1642) qui détrônent la Terre de sa position centriste et la relègue sur une orbite circum-solaire au même titre que les autres planètes.

 

Un autre conflit qui dressait les savants en deux camps est celui de l’opposition entre uniformistes et catastrophistes. Stephen Jay Gould a débattu de ce thème dans l’essai 18, Uniformité et catastrophe, de son premier ensemble d’essais sur les réflexions sur l’histoire naturelle, Darwin et les grandes énigmes de la vie.

Le « principe d’uniformité » fut développé par le géologue britannique Charles Lyell dans son livre Principes de géologie (1830).

 

« […], il y proclamait avec audace que le temps n’a pas de limite. Ayant posé ce principe fondamental, il prit position en faveur d’une théorie "uniformitariste", doctrine qui fit de la géologie une science. Les lois naturelles sont invariables. Comme on dispose d’une quantité de temps illimité, l’action lente et continue des éléments suffit pour expliquer le passé. Le présent donne la clé du passé »[1].

 

Donc, en d’autres termes, pour Lyell, les causes responsables des changements étaient non seulement considérées comme étant de même nature que celles agissant dans le présent (causes actuelles), mais encore étaient tenues pour avoir opérées avec la même intensité que leurs équivalents modernes (principe d’uniformité). De plus, du fait du temps illimité, l’uniformitarisme ou actualisme se trouvait en conflit avec la chronologie des théologiens et des cosmogonistes.

 

Rappelons qu’en se basant sur la chronologie biblique l’archevêque anglican James Ussher (1581-1656) était arrivé à situer la création du monde au 23 octobre de l’an  4004 av. J.C. !

 

Le camp adverse était celui du catastrophisme, particulièrement défendu par Cuvier, pour qui la surface de la Terre avait subi plusieurs « grandes révolutions », inondations presque universelles ou bouleversements volcaniques. Pour les défenseurs de cette option, les causes actuelles ne suffisent pas à expliquer les cataclysmes du passé. Parmi ceux-ci on peut citer Cuvier, Agassiz, Sedwick et Murchison qui tous reconnaissaient que notre planète était très vieille et cherchaient à expliquer les catastrophes par des causes naturelles.

 

Actuellement, la géologie moderne est en fait un mélange harmonieux de conceptions tirées de l’uniformisme rigide de Lyell et du catastrophisme scientifique de Cuvier et Agassiz.

 

II.         Théologie naturelle

 

A.    William Paley (1743-1805)

 

« Natural Theology » (Théologie naturelle) du révérend William Paley, publiée en 1802, a été un des ouvrages les plus influents du XIXe siècle. Cette philosophie a dominé la zoologie britannique depuis Robert Boyle, physicien et chimiste irlandais (1627-1691), à la fin du XVIIe siècle, jusqu’à Paley, avant d’être détrônée par Darwin.

 

La notion centrale de ce courant philosophique est l’ « argument du dessein » dont le principe était d’identifier des causes finales dans la nature en tant que preuves de l’existence de Dieu, de ses pouvoirs et de son incessante bienveillance[2].

 

« Les adeptes de la théologie naturelle voyaient l’œuvre de Dieu non seulement dans les adaptations des organismes, mais aussi dans l’arrangement supposé de la nature qui leur paraissait refléter la supériorité de l’homme et la vocation de ce dernier à la dominer »[3].

 

Dans le chapitre « Darwin et Paley rencontrent la main invisible » tiré de son sixième volume sur les réflexions sur l’histoire naturelle, Comme les huit doigts de la main, Stephen Jay Gould analyse le cheminement de la pensée du révérend. Par le biais de cette analyse, Gould veut montrer qu’en science :

 

« L’innovation véritable est presque toujours une addition par rapport à ce qui était antérieurement concevable et ne consiste pas en une simple permutation des possibilités déjà en main. Le progrès des connaissances ne ressemble pas à une tour montant vers le ciel, édifiée brique à brique, mais résulte d’une série d’avancées, de progressions sur de fausses pistes et de percées, ce qui donne une construction de structure bizarre et sinueuse, finissant néanmoins par s’élever » (p. 158).

 

Pour Paley, « il est évident que Dieu a créé les organismes, étant donné la bonne adéquation de leurs formes et de leurs fonctions au mode de vie qu’il leur a assigné […] » (p. 154).

 

Paley s’exprime par métaphores. Il prend pour exemple la montre trouvée par hasard sur son chemin. Elle doit forcément avoir été conçue par un horloger. Ainsi pour expliquer la complexité et l’édification d’une structure adaptée à un usage particulier (aile admirablement adaptée au vol), il fait appel à un concepteur.

 

« Il ne peut pas y avoir de plan sans concepteur, de mécanisme sans ingénieur […] Il est impossible de ne pas voir les marques du dessein tant elles sont fortes. Le plan qui répond à un projet a nécessairement eu un concepteur. Ce dernier doit obligatoirement avoir été une personne. Et celle-ci est DIEU ».

 

Toutefois, Paley se trouva confronté à une énigme lorsqu’il aborde l’analyse du comportement des organismes complexes.

 

« Comment interpréter les comportements instinctifs qui n’apportent aucune satisfaction immédiate, mais semblent, au contraire, enferrer un animal dans la douleur et la détresse » (p. 152).

 

Pour résoudre ce délicat problème, Paley y voit une « main invisible » qui ne peut être que celle de Dieu, et à l’instar de la montre qui implique un horloger, les organismes plus complexes encore requièrent « un Dieu bienveillant et créateur ».

 

Bien que l’argumentation de Paley puisse prêter à moquerie et ne soit plus acceptable de nos jours, bien que les mouvements créationnistes y reviennent, elle mérite, d’après Gould, notre respect « en tant que philosophie qui eu jadis sa cohérence, appuyée sur un système de défense subtil – c’est une « vision du monde fossile » qui peut stimuler nos réflexions, si nous voulons essayer de comprendre nos propres penchants en étudiant l’histoire des théories alternatives » (p. 156)

 

Gould poursuit :

« Dans la thèse centrale de Paley, on trouve une affirmation – les organismes sont admirablement agencés de façon à répondre à un but précis – et une déduction – un bon agencement asservi à une fin implique qu’il ait eu un concepteur » (p. 156).

 

« Paley ne peut imaginer que deux conceptions à sa proposition selon laquelle la bonne adaptation à une fin suppose un concepteur. La plus grande partie de son livre est consacrée à la réfutation de ces explications concurrentes » (p. 156)

.

1.   La bonne adaptation existe, mais sa création n’implique pas ce qui en résulte actuellement […] Supposez que la forme ait été élaborée pour d’autres raisons (par exemple, en tant que résultat direct de lois physiques), puis ait trouvé un usage donné parce que, fortuitement, elle y convenait » (p. 156).

 

L’explication est valable pour des structures simples mais non pour des structures plus complexes, « constituées de centaines d’éléments, tous orientés dans le même sens, et chacun dépendant de tous les autres », estime Paley.

 

2.   La bonne  adaptation existe, et implique qu’elle ait été produite dans le cadre de sa finalité actuelle ; mais elle a découlé d’une élaboration naturelle, par une lente évolution vers le but désiré, et non pas par une création divine soudaine […]

Paley ne pouvait se représenter l’évolution que sous la forme d’une série d’étapes positives orientées vers un but, édifiant l’adaptation petit à petit » (p. 157).

 

Il s’efforce de réfuter « la théorie "lamarckienne" du changement évolutif par le biais de l’usage et du non-usage et grâce à l’hérédité des caractères acquis ».

 

Il existe cependant une troisième option non reprise par Paley qui « considère que l’évolution est à la source de la bonne adaptation ».

 

« Mais au lieu de voir l’évolution comme un mouvement tendant vers un but, elle pose que l’adaptation se construit négativement – par l’élimination de tous les individus qui ne varient pas fortuitement dans la direction favorable, et ne permettant qu’à une toute petite minorité de transmettre aux générations suivantes leur fortuné héritage » (p. 159).

 

Cette option est très peu efficace et défie la logique dans un monde aux rouages d’horlogerie, construit selon les normes de Paley. Elle correspond à la « sélection naturelle » de Darwin et repose sur la notion d’hécatombe.

 

« La sélection naturelle est une longue suite d’hécatombes. Les individus présentent des variations sans direction préférentielle, par rapport à une morphologie moyenne au sein de la population. Elle favorise une petite proportion de cette gamme. Les individus chanceux qui en relèvent laissent davantage de rejetons survivants ; les autres meurent sans descendance (ou avec une descendance moins nombreuses). La morphologie moyenne se déplace lentement dans la direction préférentielle, petit à petit à chaque génération, par le biais de l’élimination massive des individus présentant une morphologie moins favorable » (p. 159).

 

Cette thèse révolutionnaire pour l’époque est l’une des seules qui puisse renverser la croyance de Paley.

 

 

 

 

III.      Les fixismes

 

On rencontre différents types de fixismes : ceux qui considèrent une création unique et ceux pour qui les créations sont répétées. Ceux qui croyaient aux créations successives de faunes de plus en plus perfectionnées ont reçu le nom de progressionnistes. Ces théories s’opposeront au transformisme et particulièrement en France au lamarckisme.

 

Ce courant créationniste, relié à la Genèse biblique, est fort ancien et a longtemps dominé la pensée occidentale. Malheureusement il reprend vigueur avec de nouvelles tendances comme celle du « dessein intelligent » qui se dit rigoureusement scientifique.

 

A.    La création unique

 

a.       Karl von Linné (1707 – 1778)

 

La notion d’espèce animale et végétale a été introduite dans les sciences biologiques au début du XVIIIe siècle, par le naturaliste suédois Karl von Linné, avec sa nomenclature binominale qui prévaut toujours. Pour lui, les espèces existantes sont des groupes parfaitement fixes et immuables, crées en l’état lors d’une seule création divine.

 

« Il y a autant d’espèces que de formes diverses produites dès le début par l’être infini. » (Linné, Classificatio Plantarum, 1738).

 

Cette conception se basait sur la philosophie d’Aristote (-384 - -322)[4] qui a exercé une influence majeure sur la science et la philosophie de l’Islam à leurs débuts et sur la pensée chrétienne du Moyen Age.

D’après Aristote, ce que nous appelons « espèces » sont des formes substantielles, immatérielles que la nature tend à réaliser par l’agencement de la matière. Formes immatérielles, donc nécessairement fixes, stables, immuables dans leur essence et dans les caractères essentiels qu’elles déterminent.

Exemple : bien que tous les éléphants qui se succèdent sur terre ne sont pas rigoureusement identiques, car ils varient suivant des caractères accessoires (taille, couleur, dimensions de leurs défenses, etc.), l’espèce « éléphant », principe formel, est immuable, avec des caractères spécifiques essentiels (trompe, incisives supérieures développées en défenses, une énorme molaire en pavé par demi-mâchoire, etc.).

 

Revenons-en à Linne et à sa nomenclature binominale. Selon son principe, chaque espèce est désignée par deux mots latins ou latinisé, le premier terme, avec une majuscule, étant le nom du genre et le deuxième (adjectif ou substantif, avec minuscule) celui de l’espèce.

Exemple : Parmi les bergeronnettes, petits passereaux terrestres, on trouve les espèces suivantes :

-         La bergeronnette printanière : Motacilla flava

-         La bergeronnette grise : Motacilla alba

-         La bergeronnette des ruisseaux : Motacilla ciinerea

Toutes trois sont du genre Motacilla et de la famille des Motacillidae.

 

En fait, cette approche systématique est destinée à rendre intelligible le plan divin de création, c’est pourquoi on la qualifie de « science divine »

Toutefois, dans cette classification on constate un regroupement des espèces en mettant l’accent sur les ressemblances. Cela peut supposer que celles-ci sont issues d’un ancêtre commun. C’est ce que laisse sous-entendre Linné à la fin de sa vie, après avoir défendu le créationnisme.

 

« J’ai longtemps nourrit le soupçon, et je n’ose le présenter que comme une hypothèse, que toutes les espèces d’un même genre n’ont constitué à l’origine qu’une même espèce qui s’est diversifiée ».

 

Son raisonnement s’arrête là. Il n’osera pas aller plus loin !

b.       Michel Adanson (1727 – 1806)

 

Le botaniste français Michel Adanson se rallie à la pensée essentialiste de Linné. Il élabora une nouvelle méthode de classification dite naturelle. Pourtant, il avait aussi entrevu l’interprétation transformiste de la classification :

 

« Les Espèces changent de nature. Il paroît donc suffisamment prouvé… que l’art, la culture & encore plus le hazard, c’est-à-dire certaines circonstances inconnues, font naître non-seulement tous les jours, des variétés dans les fleurs…, mais même quelquefois des Espèces nouvelles… sans compter nombre d’autres Plantes qui passent pour des Variétés nouvelles & qui se perpétuent peut-être & forment autant d’Espèces… De là la difficulté de définir quels sont les corps primitifs de la création, quels sont ceux qui, par la succession de la reproduction, ont pu être changés ou même produits de nouveau par des causes accidentelles » (Familles des Plantes, 1763, p. CXIII-CXIV).

 

Malgré cette intuition, Adanson ne poursuit pas son développement et au contraire la renie. Pour lui, les variations au sein d’espèces botaniques sont considérées comme des monstruosités.

 

« Tous les exemples cités jusqu’ici comme des changements d’espèces, ou comme des formations de nouvelles races constantes, ne sont que des variétés ou des monstruosités qui ne se perpétuent pas constamment telles par la voie des graines […] L’esprit de vérité qui nous a guidé, après avoir vu par nous-mêmes et apprécié ces faits, doit nous faire tirer des conclusions directement opposées, et nous porter à dire que la transmutation des espèces n’a pas lieu dans les plantes, non plus que dans les animaux et qu’on n’en a pas de preuve directe, même dans les minéraux, en suivant le principe reçu, que la constance est essentielle pour déterminer une espèce » (Examen de la question si les espèces changent parmi les plantes. Nouvelles expériences tentées à ce sujet, 1769).

 

Dans ce texte, Adanson insiste sur la constance de l’espèce, entrant ainsi dans le débat qui tourne autour de cette notion : tantôt c’est la constance qui est mise en avant, tantôt ce sont les variations au sein des espèces.

 

c.       Georges Louis Leclerc, comte de Buffon (1707 – 1788)

 

Buffon adhère également à cette notion fixiste radicale. Bien qu’étant le maître de Lamarck, il s’opposera jusqu’à sa mort à ses idées transformistes ainsi qu’à celles d’Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire. A mesure qu’il avance dans la rédaction de son « Histoire des Quadrupèdes » on sent cependant une certaine évolution tout comme nous l’avions constaté chez Linné. Il avait parfaitement analysé le principe des ressemblances et des rapprochements morphologiques comme on peut le constater dans le passage suivant.

 

« L’âne et le cheval, mais même l’homme, le singe, les quadrupèdes et tous les animaux, pourraient être regardés comme ne faisant que la même famille… Si l’on admet une fois qu’il y ait des familles dans les plantes et dans les animaux, que l’âne soit de la famille du cheval, et qu’il a dégénéré[5], on pourra dire également que le singe est de la famille de l’homme ; que c’est un homme dégénéré ; que l’homme et le singe ont eu une origine commune comme le cheval et l’âne ; que chaque famille, tant dans les animaux que dans les végétaux, n’a eu qu’une seule souche, et même que tous les animaux sont venus d’un seul animal qui, dans la succession des temps, a produit en se perfectionnant et en dégénérant, toutes les races des autres animaux » (Histoire naturelle générale et particulière, tome 4, 1753)

 

Dans un chapitre qu’il consacre à la « dégénération » des animaux (Œuvres complètes, T. XIV, p.139), il revient sur le problème de la transmutation des espèces : c’est dans cette partie de son œuvre qu’il développe le plus abondamment ses vues sur les modifications imposées par les conditions environnementales aux organismes vivants. Il se pose la question de savoir si ces modifications peuvent amener à de nouvelles espèces.

En ce qui concerne la position de l’Homme, Buffon va plus loin que Linné qui lui avait assigné une place dans la classification animale, parmi les Primates. Il situe l’homme auprès des grands singes pour ce qui est son organisation physique, mais il reconnaît la « distance qui sépare l’espèce humaine de la plus élevée des espèces animales ». De plus, une de ses grandes idées est l’unité essentielle du genre humain. Pour différentes qu’elles soient les unes des autres, toutes les variétés, ou races, ne sont qu’altérations d’un seul type originel, d’une souche commune (Jean Rostand[6]).

 

Pour Buffon, les dissemblances raciales sont le résultat des conditions externes : nourriture, climat, culture, lumière, métissage, etc.

 

« Il y a apparence qu’avec le temps, un peuple blanc, transporté du nord à l’équateur, pourrait devenir brun et tout-à-fait noir, surtout si ce peuple changeait de mœurs et ne se servait pour nourriture que des productions du pays chaud dans lequel il aurait été transporté ». Et inversement : « Il y a toutes les raisons du monde pour présumer que, si l’on transportait des nègres dans une province du nord, leurs descendants, à la huitième, dixième ou douzième génération, seraient beaucoup moins noirs que leurs ancêtres, et peut-être même aussi blancs que les peuples originaires du climat froid où ils habiteraient »[7]. Il est évident que cette affirmation s’avère fausse, mais on peut y voir Buffon en précurseur du transformisme lamarckien, avec la transmission héréditaire des modifications produites par le milieu environnant.

 

Une autre intuition intéressante de Buffon concerne la sélection naturelle : il fut l’un des premiers à noter que l’état de civilisation peut avoir pour conséquence d’accroître, dans une collectivité humaine, le nombre des sujets débiles ou malformés (Rostand).

 

« Dans une nation sauvage on trouve peut-être des hommes plus petits, plus laids, plus ridés, par suite des mauvaises conditions de vie ; en revanche, il se pourrait que, dans une telle nation, il y eut beaucoup moins de boiteux, de sourds, de louches, etc. Ces hommes défectueux vivent et même se multiplient dans une nation policée où l’on se supporte les uns les autres, où le fort ne peut rien contre le faible, et où les qualités du corps font beaucoup moins que celles de l’esprit ; mais, dans un peuple sauvage, comme chaque individu ne persiste, ne vit, ne se défend que par ses qualités corporelles, son adresse et sa force, ceux qui sont malheureusement nés faibles, défectueux, ou qui deviennent incommodes, cessent bientôt de faire partie de la nation »[8]

 

Lui aussi, comme ses prédécesseurs, n’ira pas plus loin. On dirait même en lisant le passage suivant qu’il se reprend en proclamant l’irréductibilité de l’espèce.

 

« Mais non, il est certain, par la révélation, que tous les animaux ont également participé à la grâce de la création, que les deux premiers de chaque espèce et de toutes les espèces sont sortis tout formés des mains du Créateur ».

 

Buffon n’étant pas transformiste a toutefois préparé le terrain. Ses idées, comme nous l’avons constaté, l’ont conduit à la notion de variabilité des espèces sous l’influence des conditions extérieures, ce que l’extrait suivant confirme :

 

« … de nouvelles espèces pourraient apparaître avec le temps, sous l’influence d’un climat nouveau ».

 

d.       Jean-Claude Delamétherie (1743-1817)

 

On retrouve cette idée de création unique chez d’éminents savants comme le naturaliste, minéralogiste, géologue, paléontologue français, Jean-Claude Delamétherie, à travers sa conception qu’il se fait de la vie et de la mort des espèces.

 

La mort de Louis Jean-Marie Daubenton (1716-1800) lui donne l’espoir de le remplacer au Collège de France (1812), malheureusement, c’est Cuvier qui sera choisi. Cuvier ne pouvant assumer seul toute sa charge, lui confie l’enseignement de la géologie. Delamétherie est l’un des premiers pédagogues à entreprendre des leçons de géologie sur le terrain.

 

Comme Lamarck et contrairement à Cuvier, il nie les espèces perdues. Dans son cas, cette négation des espèces disparues renforce son adhésion à un fixiste du monde. Pour lui, aucune espèce ancienne ne manque à l’appel des espèces existantes actuellement : il n’y aurait eu ni création répétée, ni création continue, mais un acte créateur unique, à l’origine des temps.

 

Les espèces anciennes qui « paroissaient plus ou moins différentes des analogues vivans » ne doivent pas être classées dans d’autres catégories spécifiques. Ces fossiles différents sont en fait des variétés de la même espèce, qui continue à exister de nos jours. Leurs différences sont dues « à l’influence des climats, de la température, à la dégénérescence des races, à l’âge des individus »[9]. Il reconnaît donc que « le climat, la température, la nourriture, le croisement des races, les nouvelles espèces hybrides […] ont produit des changements considérables dans la suite des siècles, chez les espèces existantes » (ibid.), il n’est pas moins vrai pour Delamétherie que le résultat n’est pas la production de nouvelles espèces, mais seulement le maintien des anciennes sous l’aspect de leurs variétés.

 

e.       Henri Ducrotay de Blainville (1777 – 1850)

 

de Blainville rentre au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris grâce à Cuvier. Très rapidement les deux hommes s’opposeront et arriveront à se détester, essayant de se nuire mutuellement. En 1830, il succède à Lamarck à la chaire d’histoire naturelle et deux plus tard, à celle d’anatomie comparée laissée vacante par le décès de Cuvier. C’est lui qui, en 1813, élève au rang de classes indépendantes les Reptiles et les Amphibiens ou Batraciens, réunis jusqu’alors.

 

de Blainville s’oppose farouchement à la théorie transformiste de Lamarck et de Geoffroy-Saint-Hilaire.

 

« Il est impossible d’admettre avec certains naturalistes, écrit-il au sujet des formes fossiles, qu’elles puissent être considérée comme une forme primitive de quelques espèces actuelles qui n’en seraient ainsi qu’une transformation »[10]

 

De Blainville, comme les autres naturalistes qui ont pratiqué la paléontologie au début du XIXe siècle, n’a pas élaboré sa vision du monde à partir de cette discipline. Il est philosophiquement fixiste et créationniste, et c’est seulement après qu’il cherche les documents que lui fournit l’étude du passé pour étayer son système. Grâce aux fossiles intermédiaires manquants, mais nécessaires, de la série animale, il peut confirmer sa conception d’un monde vivant unique et continu. Pour lui, chaque espèce fossile a sa place désignée d’avance dans la série animale complète des débuts de la création : celles « dont nous ne connaissons plus les analogues » n’en sont que « des termes éteints » (G. Laurent). Donc, tous les êtres, aussi bien vivants que fossiles, rentrent dans une même classification que tente de Blainville. Cette opération est pour lui nécessaire et normale. Tout les êtres, actuels et anciens, ayant existé autrefois en même temps, trouvaient leur place dans un même tableau ; si le monde animé d’aujourd’hui présente des lacunes, ces lacunes sont aisément et le plus naturellement du monde remplies par les fossiles, qui représentent seulement la place qui était la leur dans la création primitive (G. Laurent)

 

Il est donc fixiste, tout comme Delamétherie, mais d’une manière encore plus orthodoxe, puisqu’il refuse non seulement la transformation des espèces mais également la création d’espèces nouvelles. Il soutient le dogme d’une seule création originelle et complète. En fait, sa vision du monde n’est en aucun cas scientifique ; elle est basée sur un apriori lié à des préjugés religieux. Sa compréhension de la nature se fonde d’abord sur « la philosophie religieuse, la seule bonne et la seule vraie », assure-t-il, qui lui fait soutenir que Dieu a créé tous les êtres en une seule fois « dans la grande et sublime harmonie des choses »[11].

 

De Blainville est tombé pratiquement dans l’oubli et a été fortement dénigré par ses pairs. Toutefois deux de ses idées ne sont pas perdues : l’introduction de la notion d’espèces intermédiaires, et la persistance de l’action des causes ordinaires à travers les temps géologiques.

 

f.        Constant Prévost (1787 – 1856)

 

Le géologue français Constant Prévost fut l’élève de Cuvier, puis celui d’Alexandre Brongniart. Il sera, dès 1819, professeur de géologie à l’Athenaeum et à l’Ecole centrale des Arts et Manufactures, puis, en 1831, à la Faculté des Sciences de Paris. Il rencontrera de Blainville dont il deviendra l’ami.

 

Catastrophiste au départ, sous l’influence de Cuvier, il adhère en fin de compte au principe des « causes actuelles » en même temps que Lyell.

C’est son opposition, en 1827, aux alternances de dépôts marins et fluviatiles qui le conduit à sa profession de foi actualiste, et le mènera, par cet intermédiaire, à nier les créations successives et à rejeter le progressionnisme pour adhérer au créationnisme unique sous l’influence de son ami de Blainville.

 

Ce qui, à l’époque, opposait les scientifiques, était le problème entre passé et présent, désigné par le couple continuité/discontinuité. Les discontinuités font appel à des catastrophes qui assèchent périodiquement le fond des mers et/ou inondent les continents. Ce à quoi Prévost répond qu’il n’est pas « nécessaire, pour expliquer les faits géologiques, de faire intervenir des causes extraordinaires qui ne sauraient agir maintenant qu'en troublant l'ordre de l'univers »[12]

 

Les retours périodiques de la mer sur les continents, imaginés par Cuvier et Brongniart comme des catastrophes, introduisent une discontinuité entre l'état actuel du globe et ses états antérieurs. A Cuvier qui, dans son Discours sur les révolutions de la surface du globe, lançait sa phrase devenue célèbre : « le fil des opérations est rompu », Prévost répliquait : «  je n'ai été arrêté nulle part dans cette tentative de lier le passé au présent, par ce qu'on appelle une limite tranchée entre la nature ancienne et la nature actuelle »[13] .

 

C’est un partisan des affaissements, qu’il opposait aux soulèvements. Il enseignait que les montagnes n’étaient pas dues à des cataclysmes violents, éruptions ou tremblements de terre comme le préconisaient les catastrophistes, mais à une rétraction inégale, lente et incessante de la croûte terrestre.

 On trouve chez Prévost un ensemble d’affirmations disparates, dont les incompatibilités logiques font preuve d’une intelligence qui refuse de se laisser enfermer dans un système établi. Certaines de celles-ci pourraient laisser supposer qu’il avait adhéré aux idées transformistes ou à une création répétée.

 

Au début de sa carrière, il croyait à une modification progressive de la nature vivante.

« Les corps organisés fossiles dont on retrouve les débris dans les coches de la terre, différent d’autant plus que les êtres actuellement existans, qu’ils sont enfouis dans des couches plus anciennes »[14].

Et encore : « On ne peut douter que les changements d’organisation et de forme n’aient eu lieu dans la série des êtres qui ont successivement précédé ceux qui existent maintenant »[15].

Au fil du temps, dans ce domaine comme dans celui des transgressions marines il en vient à s’écarter des idées de ses mentors.

 

Comme tous les scientifiques de l’époque, Prévost se trouve confronté aux changements de faunes qui restent difficiles à expliquer. Les destructions peuvent être "l'effet d'un déluge qui aurait anéanti des races entières de grands animaux déjà répandus sur la terre"[16]. Dans ce propos on sent un relent de catastrophisme. Quant à l'apparition, plus problématique encore, de nouvelles espèces, Prévost n'est pas très clair. Lorsqu'il dit que le calcaire grossier est antérieur à « la création des mammifères terrestres »[17], on peut supposer qu'il y a eu créations successives des formes animales. Mais lorsque Prévost soutient que « depuis la création jusqu'à nos jours, il y a eu dans la chaîne (des êtres)... des modifications graduées »[18], c’est plutôt, une création unique suivie de transformations des espèces qu’il évoque.

Toutefois pour résoudre ce dilemme, Prévost nie la relation de cause à effet entre le milieu et la forme des êtres et fait appel aux migrations pour souligner l’influence de distribution et de redistribution des populations.

 

g.       Edouard Lartet (1801 ) 1871)

 

Ce paléontologue et préhistorien français est considéré comme étant le père de la paléontologie humaine. En 1836, il découvre dans le gisement miocène de Sansan (Gers) la mâchoire du premier grand singe fossile, le Pliopithèque (Pliopithecus anticus). Cette découverte va à l'encontre des théories de Georges Cuvier,  mort depuis trois ans, qui avait affirmé que les singes fossiles ne pouvaient pas exister. 

Une commission d'enquête est nommée, présidée par de Blainville qui a succédé à Cuvier à la chaire d'anatomie comparée du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris. Celle-ci confirme la découverte. Pour Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire, c’est la confirmation de la théorie de l’évolution qui opposait les partisans de Cuvier et les transformistes : « La découverte de la mâchoire fossile de singe de M. Lartet me parait appelée à commencer une ère nouvelle du savoir humanitaire. »

 

En 1856, Lartet découvre un fragment de mâchoire d’un autre primate plus évolué, le Dryopithèque (Dryopithecus fontani) qui à l’époque est le fossile le plus proche de l’Homme.

 

En 1860, Lartet entreprend à Massat (Ariège) et à Aurignac (Haute-Garonne) des fouilles archéologiques. Il trouve des ossements d’animaux manifestement incisés par la main de l’homme et des outils lithiques. Ces découvertes  contribuèrent à démontrer la contemporanéité de l'Homme avec des espèces animales disparues, avancée dès 1851 par le naturaliste français Jean-Baptiste Noulet (1802-1890).

 

En 1861, il propose une chronologie du Quaternaire fondée sur les espèces successives de grands mammifères dominants,

-        l'âge de l'ours des cavernes ;

-        l'âge du mammouth ;

-        l'âge du renne ;

-        l'âge de l’auroch.

 

A partir de cette dernière, il établit une classification des industries lithiques paléolithiques : l'aurignacien et le magdalénien ont une relation directe avec les explorations menées dans les grottes d'Aurignac (Haute-Garonne) et de la Madeleine (Tursac, Dordogne).

 

En 1863, il fouille avec l'ethnologue et préhistorien anglais Henry Christy (1810-1865) certains des sites majeurs du Périgord, dont Le Moustier, Laugerie-Basse et La Madeleine. Dans ce dernier, la découverte d’une lame d’ivoire incisée, dont les gravures représentaient les traits  d’un Mammouth apporte une preuve décisive de l'existence d'un art préhistorique. Sa renommée nationale est au plus haut.

 

Grâce à ses découvertes et à ses travaux, Lartet apporte la preuve de l’ancienneté des Primates et de l’Homme.

 

Curieusement, notre préhistorien n’adhère pas aux idées transformistes, pourtant adoptés par nombre de ses pairs. Il s’en tient à un fixisme orthodoxe. Pour lui, la haute antiquité qu’il attribue aux Singes et à l’Homme n’apporte pas d’argument en faveur d’une parenté ancestrale. De ce point de vue, il se rapproche plus d’un de Blainville que d’un Lamarck. Pour lui aussi, les restes d’animaux disparus que l’on retrouve servent à combler les « lacunes de notre série animale ». Grâce à eux, la création primitive se laisse entrevoir dans sa plénitude originelle : « on dirait autant d’animaux retrouvés de la grande chaîne qui reliait anciennement tous les êtres de cette magnifique création primitive dont il ne reste plus à l’état vivant que quelques débris épars à la surface du globe »[19].

 

Dans cette perspective, il est normal que Lartet défende l’ancienneté de l’Homme quitte à le faire remonter jusqu’au Miocène. Dans un monde où toutes les espèces animales étaient apparues dès le début, il ne pouvait plus y avoir d’Histoire, comme pour de Blainville, sinon celle d’un appauvrissement continuel (G. Laurent).

 

B.    La création répétée

 

a.       Georges Cuvier (1769 – 1832)

 

Georges Cuvier, fondateur de l’anatomie comparée et de la paléontologie des Vertébrés, a incontestablement établit la réalité des espèces disparues et de leur succession dans le temps. Pour expliquer ces changements de faune d’une époque à l’autre, il fait intervenir des catastrophes géographiques (« révolutions du globe ») générales ou circonscrites entraînant la disparition de pans entiers du monde vivant, suivies de nouvelles créations ou de « migrations » assurant les repeuplements.

 

« Qu’on se demande pourquoi on trouve tant de dépouilles d’animaux inconnus, tandis qu’on n’en trouve presque aucune dont on puisse dire qu’elle appartienne aux espèces que nous connoissons, et l’on verra combien il est probable qu’elles ont appartenu à des êtres d’un monde antérieur au nôtre, à des êtres détruits par quelques révolutions de ce globe ; êtres dont ceux qui existent aujourd’hui ont rempli la place, pour se voir peut-être un jour également détruits et remplacés par d’autres » (Mémoire sur les espèces d’Eléphans vivantes et fossiles, 1799).

 

Son nom reste attaché à deux théories dont il s’était fait le champion : sa théorie des catastrophes et la fixité des espèces. Cela l’amènera,  au début du XIXe siècle, à affronter l’un de ses pairs du Musée d’Histoire Naturelle de Paris, Lamarck, à qui, il vouera une animosité sinon une haine.

 

« Parmi les divers systèmes sur l’origine des êtres organisés, il n’en est pas de moins vraisemblable que celui qui en fait naître successivement les différents genres par des développements ou des métamorphoses graduelles » (Recherches sur les Ossements fossiles, Bull. des Sc.nat. et de Géol., t. 3, 1822, p. 297-298).

 

Cette confrontation entre ces deux fortes personnalités qui marquent à l’époque la vie scientifique française débute par une communication de Cuvier adressée à l’Institut, le 12 novembre 1800. Par l’étude des fossiles, il voulait proposer une vision du passé de la Terre et de la Vie qui allait à l’encontre de celle en vigueur parmi ses pairs. L’élément principal de celle-ci était l’affirmation du Catastrophisme.

 

« La question principale, affirme-t-il, est de savoir jusqu’à quel point est allée la catastrophe qui a précédé la formation de nos continents actuels »[20]

 

Pour résoudre ce problème, « il s’agit surtout de rechercher si les espèces qui existoient alors ont été entièrement détruites, ou seulement si elles ont été modifiées dans leur forme, ou si elles ont simplement été transportées d’un climat dans un autre ».

De ces trois solutions proposées, Cuvier choisi la première : la destruction des espèces disparues. Cela entraîne l’idée de mondes peuplés, successivement détruits par des catastrophes, et successivement reconstruits. L’idée est révolutionnaire pour l’époque ; elle n’est pas conforme à la création biblique et va à l’encontre de la vision de Buffon.

 

Une autre question se pose. Après s’être demandé comment disparaissent les êtres antiques, il se demande « comment ceux qui leur ont succédé furent-ils formés ? » Afin de résoudre les problèmes que soulève cette délicate question, Cuvier se lance dans l’étude des fossiles de grands quadrupèdes car, « les ossements de quadrupèdes peuvent conduire, par plusieurs raisons, à des résultats plus rigoureux qu’aucune autre dépouille de corps organisés[21] ».

 

Cela lui permettra de lier constamment les deux notions de disparition des espèces et de catastrophes géologiques. Cuvier nie donc la continuité biologique des espèces d’époques différentes qui sera défendue par Lamarck. En fait pour lui, l’explication réside en des créations divines successives après chaque catastrophe.

 

Dans la préface de son « Règne animal distribué d’après son organisation » (1817), dans lequel il cherche à établir une classification logique selon une méthode basée sur une division en classe, ordre, genre, espèce, Cuvier insiste sur le fait que cette classification ne suit pas une échelle graduelle allant du plus primitif au plus complexe comme chez Lamarck.

« Pour prévenir une critique qui se présentera naturellement à beaucoup de personnes, je dois remarquer d’abord, que je n’ai eu ni la prétention, ni le désir de classer les êtres de manière à en former une seule ligne, ou à marquer leur supériorité réciproque. Je regarde même toute tentative de ce genre comme inexécutable ; ainsi je n’entends pas que les mammifères ou les oiseaux, placés les derniers, soient les plus imparfaits de leur classe ; j’entend encore moins que le dernier des mammifères soit plus parfait que le premiers des oiseaux, le dernier des mollusques plus parfait que le premier des annélides ou des zoophytes ; même en restreignant ce mot vague de plus parfait, au sens de plus complètement organisé. Je n’ai considéré mes divisions et subdivisions que comme l’expression graduée de la ressemblance des êtres qui entrent dans chacune ; et quoique il y en ait où l’on observe une sorte de dégradation et de passage d’une espèce à l’autre, qui ne peut être niée, il s’en faut de beaucoup que cette disposition soit générale. L’échelle prétendue des êtres n’est qu’une application erronée à la totalité de la création de ces observations partielles […] »[22]

 

En recherchant les « lois générales de positions ou de rapports des fossiles avec les couches », il parviendra à définir quatre âges distincts, chacun caractérisé par une association de vertébrés différents :

-         Le premier est celui des Reptiles ;

-         Le deuxième, au dessus de la craie, est dominé par des « Pachydermes » (animaux à la peau épaisse), dont une majorité en provenance des plâtrières de Montmartre ;

-         Le troisième, ou Alluvium se caractérise par des Pachydermes gigantesques, des Eléphants, des Rhinocéros, des Hippopotames, des Chevaux, etc. dont les différences avec les espèces actuelles ne sont que spécifiques ;

-         Le dernier, ou Diluvium, est celui de l’Homme, avec le déluge biblique responsable de la disparition des Pachydermes de l’époque précédente.

 

Cette théorie pouvait être confrontée au modèle de la succession des formations géologiques établie par le naturaliste et explorateur allemand Alexandre von Humboldt (1769-1859). Donc, incontestablement, Cuvier a jeté les bases de la biostratigraphie continentale, fondée sur les exigences logiques de l’interprétation stratigraphique des fossiles.

 

Si au départ, Cuvier considérait les « révolutions du globe » comme étant globales avec une extinction complète des espèces, il admettra plus tard que ces catastrophes peuvent être circonscrites à certains territoires et que le repeuplement se fait par migrations des espèces à partir de régions indemnes.

 

Qu’elle que soient ses idées, CUVIER a contribué à une meilleure connaissance de la paléontologie et il fut un des plus grands naturalistes de tous les temps.

 

b.       Alcide d’Orbigny (1802 – 1857)

 

Alcide d’Orbigny rencontre von Humbolt qui s’était rendu célèbre en explorant le nord de l’Amérique du Sud entre 1799 et 1804. Ce dernier était accompagné d’un jeune botaniste, Aimé Bonpland, un intime de la famille d’Orbigny. C’est grâce à cette rencontre qu’Alcide réalisera son destin en étant choisi par le Muséum d’Histoire Naturelle de Paris comme voyageur naturaliste pour une nouvelle mission en Amérique du Sud. Il s’embarque le 30 juin 1826 et son voyage durera sept ans et sept mois. A son retour en France, il consacrera treize années, de 1835 à 1847, à la rédaction de ses mémoires.

Peignant les différentes populations qu'il rencontre, il conclura en 1839 : "notre conviction intime est que parmi les hommes il n'y a qu'une seule et même espèce". Ce qui peut paraître banal à notre époque, ne l’était guère du temps des colonies et à l’aube du racisme scientifique.

 

Alcide d’Orbigny est considéré comme le père de la stratigraphie. De 1849 à 1852, il rédige un « Cours élémentaire de paléontologie et de géologie stratigraphiques », dans lequel il donne une vision synthétique et extrêmement détaillée de la stratigraphie.

Il définit 28 étages géologiques, du Silurien à l’Actuel, en donnant au mot « étage » un sens plus précis qu’auparavant et qu’il a gardé depuis.

C’est ainsi qu’il décrit un grand nombre de ceux-ci encore utilisés aujourd’hui, à partir de sites français comme : Sinémurien de Semur-en-Auxois (Côte d'Or), Toarcien de Thouars (Deux-Sèvres), Bajocien de Bayeux (Calvados), Aptien d'Apt (Vaucluse), Albien de Alba, rivière de l'Aube, Cénomanien (en latin Cenomanum) du Mans (Sarthe), Turonien de Tours (Indre-et-Loire), Sénonien de Sens (Yonne), Stampien (en latin Stampae) d'Étampes (Essonne).

Pour Alcide d'Orbigny, les limites entre étages sont si nettes qu'il écrit en 1849 que :

« Chacun des étages qui se sont succédé dans les âges du monde renferme sa faune spéciale, bien tranchée, distincte des faunes inférieures et supérieures, et que ces faunes ne se sont pas succédé par passage de forme, ou par remplacement graduel, mais bien par anéantissement brusque. »

Chaque étage a ses fossiles, et chaque fossile a son étage. Si la même espèce se retrouve dans deux étages, c'est qu'un mélange accidentel a eu lieu, ou qu'on n'a pas su distinguer les espèces, comme Alcide l'explique au paragraphe 47 de l’introduction du Prodrome de paléontologie stratigraphique universelle :

« Si nous trouvions dans la nature des formes qui, après l'analyse la plus scrupuleuse, ne nous offrirait encore aucune différence appréciable, quoiqu'elles fussent séparées par un intervalle de quelques étages (ce qui n'existe pas encore), nous ne balancerions pas un instant à les regarder néanmoins comme distinctes. Lorsqu'on voit toutes les formes spécifiques bien arrêtées avoir des limites fixes dans les étages, et appartenir à un seul, on doit croire que ce sont nos moyens de distinction qui sont insuffisants pour trouver les différences entre ces deux espèces d'époques éloignées qui se ressemblent. »

Lorsqu’Alcide d’Orbigny rejoint le Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, il y existe deux courants de pensée défendus respectivement par Cuvier et par Lamarck. Le premier défend la théorie des « révolutions de la Terre » qui conduira au catastrophisme et à la fixité des espèces, tandis que le second défend le transformisme qui sous-tend l’idée d’évolution des espèces.

Si Alcide d'Orbigny affirme qu'il n'existe pas de "remplacement graduel", c'est que, comme Cuvier et malgré Lamarck, il ne croit pas en l'évolution des espèces : lorsqu'une espèce disparaît, elle ne laisse pas de descendants transformés en d'autres espèces.  Cuvier en se basant sur certains fossiles,  démontrait l’existence  d'espèces disparues,  n'existant plus aujourd'hui, comme les Mammouths, parce que des catastrophes les avaient anéanties.

Nous avons vu, qu’en fin de compte il limitait ces catastrophes et envisageait que telle ou telle zone épargnée ait servi à repeupler la Terre après chaque révolution, car il répugnait autant aux créations répétées que Lamarck aux extinctions brutales.

Poursuivant le raisonnement de Cuvier, d’Orbigny étend les cataclysmes à toute la Terre et, puisqu’il y a 28 étages, c’est qu’il y a 27 « révolutions du globe » ou extinctions totales, suivies de 28 créations nouvelles. Son cours de 1849 ne laisse aucune ambiguïté :

« Les animaux ne montrant, dans leurs formes spécifiques, aucune transition, se sont succédé à la surface du globe, non par passage, mais par extinction des races existantes et par la création successive des espèces à chaque époque géologique. »

Ce sont donc des centaines de créations séparées qu’il faudrait imaginer pour rendre compte de ces repeuplements successifs. Autant admettre une création continue !

Darwin lui-même reconnaîtra que cette rareté des formes intermédiaires pose problème aux évolutionnistes. En s'intéressant aux Ammonites plutôt qu'à d'autres Mollusques, d'Orbigny a su choisir un groupe particulièrement indiqué pour caractériser les étages successifs : comme on le découvrira bien plus tard, les Ammonites évoluaient très vite et ont plusieurs fois failli disparaître, d'où la rareté des intermédiaires. Quoi qu'il en soit, on l'a vu, Alcide avait une explication pour les exceptions qui se présenteraient.

De plus, il a eu le temps de s'en convaincre avec d'autres groupes. Entre le Primaire et le Secondaire, écrit-il dès 1840, « une première génération de Crinoïdes aurait entièrement disparu, pour être remplacée, plus tard, par une autre tout à fait différente ». Un an après : « les rudistes ont paru cinq fois à la surface du globe" »

Dans un article de 1850, il ajoute :

« Comme on ne peut attribuer le retard de l'arrivée sur la terre des Mammifères à aucune autre cause physique également marquée pour les autres êtres, on doit croire qu'il dépend de la même puissance créatrice qui, avant cette époque, sans qu'aucune autre cause physique puisse être invoquée, avait déjà tant de fois repeuplé les mers et les continents de ses nombreux animaux. »

c.       Alexandre Brongniart (1770 – 1847)

 

Ce minéralogiste et géologue français rédige, en 1812, en collaboration avec Cuvier, une Description géologique des environs de Paris (refondue en 1822). Celle-ci est le résultat de ses travaux dans le bassin parisien et sont à la base de la paléontologie stratigraphique française : désormais, certains fossiles serviront de repères dans la subdivision des terrains sédimentaires. Il détermine la chronologie des terrains tertiaires, dans un ouvrage publié en 1829 : Tableau des terrains qui composent l’écorce du globe. Essai sur la structure de la partie connue de la Terre.

Alexandre Brongniart s’intéresse également à la zoologie. Il détermine la division de reptiles qu’il scinde en quatre ordres : les Sauriens, les Batraciens, les Chélonien et les Ophidiens.

 

Lorsque Cuvier, le 21 janvier 1796, lit devant un aréopage de savants réunis à l’Institut National son mémoire sur les Eléphants fossiles où il annonce, à la stupeur et au scepticisme générales, l’existence de créations antérieures à la nôtre, détruites par des catastrophes, Brongniart applaudit son mentor. A l’exemple de ce dernier, Alexandre Brongniart pense que l’Histoire de la Terre a été marquée par de grandes révolutions. S’il s’intéresse plus particulièrement à la dernière, c’est, contrairement à Cuvier qui en faisait le modèle des autres, parce qu’elle marque une coupure essentielle entre les terrains actuels et les terrains antédiluviens. Pour lui, il existe deux grandes périodes distinctes dans l’Histoire de la Terre : la « période jovienne » et la « période saturnienne ». La première est celle d’aujourd’hui, période de repos et de tranquillité des éléments, séparée de la précédente par « la dernière catastrophe générale du globe »[23].

Cette dernière catastrophe a provoqué par des soulèvements quasi instantanés, l’ensemble des chaînes de montagnes que l’on connaît actuellement. En effet, dit-il : « il n’est pas présumable que les Alpes, les Pyrénées, les Cordillères, etc., se soient soulevées pièces à pièces, et pour ainsi dire à petit bruit ; il est au contraire très-probable que la force qui les a élevées sur une même ligne, a agi à peu près dans le même temps d’un bout à l’autre de la ligne »[24].

Actuellement, la Terre est « dans un état de repos et de tranquillité »[25], tout différent de l’état antérieur.

 

Brongniart est-il un catastrophiste ? Oui, mais d’une manière un peu particulière. Contrairement aux vrais partisans du Catastrophisme qui soutiennent l’existence de nombreuses révolutions dévastatrices de toute vie sur Terre, il ne distingue que deux périodes dans l’Histoire de la Terre, séparées par une catastrophe qui s’est passée il y a environ 4.000 ans et peut correspondre au Déluge biblique.

 

Brongniart admet également les destructions massives des êtres vivants durant cette période jovienne, mais celles-ci ne fournissent pas de point de rupture comme chez Cuvier : dans un environnement hostile, ils ont continué à vivre. Certaines espèces ont pu disparaître, mais il n’y a pas eu de destruction totale. Dans ce raisonnement on peut déceler une certaine acceptation du Transformisme lamarckien.

A toutes les époques de sa vie, notre savant apparaît comme le type de naturaliste observateur, à la curiosité très générale et plus intéressé par les faits que par les théories. C’est cette attitude qui l’empêchera d’accepter le transformisme.

 

d.       Adolphe Brongniart (1801 – 1876)

 

Le botaniste Adolphe Brongniart est le fils d’Alexandre. Ses travaux botaniques (1830) l’on conduit à se poser les mêmes questions sur l’apparition des êtres, car « les conditions physiques du globe ne nous paraissent pas suffire pour expliquer la nature de la végétation »[26] des temps anciens, assure-t-il. Il en arrive également à la conclusion qu’il y a différentes époques avec des populations végétales bien déterminées qui sont anéanties à la suite de catastrophes globales, et que celles-ci sont suivies d’un repeuplement de nouvelles espèces. Pour lui, il existe « une autre cause que l’influence des modifications des agents physiques tels qu’ils se présentent actuellement à la surface de la terre », il y voit le déroulement d’un Plan créateur qui fait parcourir aux êtres des « phases » progressives[27].

 

Comme d’Orbigny, Adolphe Brongniart considère que le monde végétal a été renouvelé à intervalles réguliers par des actes répétés du Créateur. Ce sont ceux-ci qui sont responsables du changement de décor végétal : « des genres ou des familles nouvelles viennent remplacer des genres et des familles détruites et complètement distinctes ; ou bien […] une famille nombreuse et variée se réduit à quelques espèces, tandis qu’une autre, qui était à peine signalée par quelques individus rares, devient tout à coup nombreuse et prédominante »[28].

 

Pour expliquer ces changements, notre botaniste préfère se référer au Créationnisme plutôt qu’au Transformisme : « Au milieu de l’obscurité qui environne de semblables mystères et que notre esprit cherche en vain à percer, reconnaissons qu’il est moins difficile pour notre intelligence de concevoir que la puissance divine, qui a créé sur la terre les premiers êtres vivants, ne s’est pas reposée et qu’elle a continué à exercer le même pouvoir créateur aux autres époques géologiques, en imprimant à l’ensemble de ces créations successives ces caractères de grandeur et d’unité que le naturaliste encore plus que les autres hommes est appelé à admirer dans toutes ses œuvres »[29].

 

Bien qu’il soit confronté au Transformisme qui gagne du terrain, surtout après la parution du livre de Darwin, Alphonse Brongniart reste un farouche opposant à cette nouvelle théorie.

 

Il déclare « les théories de M. Darwin sur la transmutation des formes spécifiques [sont] inadmissibles et contraires aux faits observés ». Les plantes assure-t-il « ne se modifient pas en changeant de climat : une plante de la zone torride transportée dans le nord, ou même dans la zone tempérée, n’éprouve aucune modification dans sa descendance ; si le climat ne lui convient pas, elle ne se modifie pas, elle meurt »[30].

 Alphonse Brongniart se contente de cette déclaration et il restera obstinément attaché à sa vision créationniste du monde.

 

e.       Elie de Beaumont (1798 – 1874)

 

Le géologue français Jean-Baptiste Armand Louis Léonce Elie de Beaumont se situe dans la même mouvance que le savant précédent. Pour lui, les espèces sont stables et si elles varient c’est dans des limites très restreintes.

 

La succession continue des faunes dans les couches géologiques ne peut être expliquée par le Transformisme et ni par les migrations chères à Cuvier et certains de ses disciples. Comme il est impossible de remonter d’une espèce à la précédente, il est également impossible de remonter à l’origine de la vie. Tout indique dans la Géologie qu’il y a eu un commencement, mais les indices ne suffisent pas pour en tirer les modalités et le moment et il sera « peut-être toujours impossible à l’homme de remonter jusqu’à la première formation de la planète qu’il habite »[31]. Cela n’empêche qu’Elie de Beaumont se pose ces questions, et qu’il propose, en 1850, le sujet du Grand Prix pour l’Académie des Sciences en demandant que l’on étudie ce problème : « Lorsqu’une espèce semble avoir disparu et avoir été remplacée par une espèce peu différente, on peut se demander si cette dernière résulte d’une création nouvelle ou d’une transformation de l’espèce qu’on ne trouve plus »[32]

 

Le nom d’Élie de Beaumont est connu du monde des géologues pour sa théorie de la formation des cordillères  proposée à l’Académie des Sciences et décrite dans trois volumes Notice sur le système des montagnes (1852). D’après cette théorie, toutes les chaînes de montagnes parallèles au même grand cercle[33] de la Terre ont le même âge, et entre ces grands cercles une relation de symétrie existe sous la forme d’un réseau pentagonal.

Il est également connu pour sa carte géologique de France dont il est le principal auteur.

 

f.        William Smith (1769 – 1839)

 

Le géologue britannique William Smith est le créateur de la première carte géologique de la Grande-Bretagne. Homme de terrain, il parcouru son pays pour faire de nombreux relevés lui permettant d’établir son œuvre. Il est considéré par Adam Sedgwick (1785-1873), l’un de ses pairs, comme étant le père de la géologie anglaise.

Sur l’origine des espèces, il exprime des points de vue assez semblables à ceux d’Alcide d’Orbigny. Il considère que le repeuplement de la Terre après chaque catastrophe est le résultat de créations successives qui ont lieu après chacune de ces « révolutions ». En cela, il est bien dans la tradition anglaise qui inscrit sa vision du monde dans le cadre de la théologie naturelle. Il sera rejoint sur ce terrain par ses éminents condisciples que sont : William Buckland (1784-1856)

William Daniel Conybeare (1787-1857), Adam Sedgwick (1785-1873), Roderick Impey Murchison (1792-1871)

 

Conclusions

 

Les catastrophistes sont d’accord sur un point fondamentale : il y a eu des destructions complètes, suivies de créations entières après chaque dévastation.

 

Ces créations répétées sont bien gênantes : pour les non-croyants, c'est un prodige inacceptable ; les croyants peinent à concevoir un Dieu qui s'y reprend à plusieurs fois ; les évolutionnistes ont une autre explication.

 

Deux courants de pensée s’affrontent à la suite des travaux respectifs de Cuvier et de Lamarck. Les savants de l’époque sont confrontés à un choix lorsqu’ils abordent le problème de l’apparition des espèces. Le botaniste Dominique Alexandre Godron (1807-1880) fait remarquer que les possibilités se limitent à deux systèmes « dérivés l’un du principe de la fixité des espèces, l’autre de la doctrine de la variabilité des êtres sous l’influence des agents extérieurs »[34].

 

Nous aborderons la fois prochaine le Transformisme dont les prémisses nous mènerons à Lamarck.

 

IV.       BIBLIOGRAPHIE

 

Ø       Buffon (XVIIIe s.) – De l’Homme – Histoire Naturelle, Vialetay, éditeur.

 

Ø       Cuvier Georges (1985) – Discours sur les révolutions de la surface du globe, Christian Bourgois éditeur, coll. « Epistémè »

 

Ø       Cuvier Georges (1817)Le Règne animal distribué d’après son organisation, T. 1, Chez Deterville, Libraire (impression anastaltique)

 

Ø       Gagnebin Elie (s.d.) – Le Transformisme et L’origine de l’homme, F. Rouge & Cie S.A., Librairie de l’Université, Lausanne.

 

Ø       Gould Stephen Jay (1979) – Darwin et les grandes énigmes de la vie, Pygmalion, coll. « Points-Sciences ».

 

Ø       Gould Stephen Jay (1996) Comme les huit doigts de la main, Seuil.

 

Ø       Gould Stephen Jay (2000) – Les quatre antilopes de l’Apocalypse, Seuil.

 

Ø      Gould Stephen Jay (2001) – Les coquillages de Léonard, Seuil.

 

Ø     Hooykaas R. (1970) – Continuité et discontinuité en géologie et biologie, Seuil

 

Ø       Laurent Goulven (1987) – Paléontologie et évolution en France 1800-1860, de Cuvier – Lamarck à Darwin, Editions du Comité des Travaux historiques et scientifiques.

 

Ø       Laurent Goulven (2001) – La naissance du transformisme – Lamarck entre Linné et Darwin, Vuibert/ADAPT, coll. « Inflexions ».

 

Ø       Lecointre Guillaume (sous la direction) (2009) – Guide critique de l’évolution, Belin.

 

Ø       Ostoya Paul (1951) – Les théories de l’évolution, Payot.

 

Ø       Rostand Jean (1932) – L’évolution des espèces, Hachette.

 

Ø       http://www.annales.org/archives/cofrhigeo/geologie-positive.html

 



[1] Stephen Jay GouldDarwin et les grandes énigmes de la vie, p. 158, Pygmalion, 1979.

[2] Stephen Jay GouldLes coquillages de Léonard, p.303, Seuil, 2001.

[3]  Stephen Jay GouldLes quatre antilopes de l’Apocalypse, p. 473, Seuil, 2000.

[4] Voir R. Six - De l’évolution des idées sur l’évolutionnisme, in Bulletin du G.E.S.T. – N° 143, mai 2007.

[5] Utilisé par Buffon dans le sens de « changement ».

[6] « Un traité de biologie humaine », p.viii-ix, in « De l’Homme », Buffon.

[7] ibid, p. ix-x.

[8] Ibid ; p.xii-xiii.

[9] « Discours préliminaire », in Journal de Physique, t. 46, 1798, p. 75.

[10] Ibidem, t. 62, 1806, p. 71.

[11] De Blainville - Ostéographie, t. 4, Palaeotherium, p. 5, cité par G. Laurent.

[12] D'après Prévost C, De la formation des terrains des environs de Paris, in Nouveau Bull. Soc. philomatique, 1825, p.75.

[13] Prévost C, Les continents actuels ont-ils été à plusieurs reprises submergés par la mer ? Dissertation géologique lue à l'Académie royale des Sciences dans les séances des 18 juin et 2 juillet 1827. In Documents pour l'histoire des terrains tertiaires, s.d.s.l., p.7.

[14] Essai sur la constitution physique... , in Journal de Physique, t. 91, 1820, p. 465 ; également in Documents...

[15] Documents pour l’Histoire…, p.238.

[16] Essai sur la constitution physique... Journal de Physique, nov. 1820 ; également in Documents... p. 217.

[17] Ibid.

[18] Ibid., p. 223.

[19] « Considérations géologiques et paléontologiques sur le dépôt lacustre de Sansan… », in C.R. Acad. Sc., t. 20, 1845, p. 320, cité par G. Laurent.

[20] « Extrait d’un Ouvrage sur les espèces de Quadrupèdes dont on a retrouvé les ossements dans l’intérieur de la terre… », in Journal de Physique, t. 52, 1801, p. 256, cité par G. Laurent.

[21] « Recherches sur les Ossements fossiles de Quadrupèdes », t. I, 1812, « Discours préliminaire », p. 37, cité par G. Laurent.

[22] Opus cité, p. xx-xxj.

[23] Tableau des Terrains, p. 122, cité par G. Laurent.

[24] Ibid., p. 60.

[25] Ibid., p.31

[26] Rapport sur les Progrès…, 1868, p. 212, cité par G. Laurent.

[27] Exposition chronologique…, in Ann. des Sc. Nat. Botanique, 3, t. 11, 1849, p. 295, cité par G. Laurent.

[28] Dict. Univ. Hist. Nat., art. « Végétaux fossiles », t. 13, 1849, p. 142, cité par G. Laurent.

[29] Rapport sur le Grand Prix…, in C.R. Acad.  Sc., t. 44, 1857, p. 220, cité par G. Laurent.

[30] G. de Saporta, « Etude sur la vie et les travaux paléontologiques d’Adolphe Brongniart », in Bull. Soc. Géol. Fr., 3, t  4, 1875-1876, p. 399, cité par G. Laurent.

[31] Explication de la carte géologique…, t. 1, p. 50, cité par G. Laurent.

[32] Grand Prix des Sciences physique proposé en 1859, pour 1853, in C.R. Acad. Sc., t. 30, 1850, p . 258-259, cité par G. Laurent.

[33] En géométrie, un grand cercle est un cercle tracé à la surface d'une sphère qui a le même diamètre qu'elle. Sur Terre, les méridiens et l'équateur sont des grands cercles.

[34] « De l’espèce considérée dans les êtres organisés, appartenant aux périodes géologiques qui ont précédé celle’ où nous vivons », in Mém. Soc. Des Sc., Lettres et Arts de Nancy, 1848, p. 382-383, cité par G. Laurent.


10/05/2011
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Les précurseurs de Darwin - 1

Evolution 2

 

Les précurseurs de Darwin

 

 I.      Introduction

 

 L’idée d’évolution des espèces n’est pas nouvelle lorsque Darwin publie, en 1859, son célèbre ouvrage, L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle. Déjà de nombreux érudits ont émis des remarques sur un transformisme possible. Ce qui fait surtout la différence et l’originalité de la théorie émise par Darwin, c’est l’hypothèse de la sélection naturelle, où la variation est conçue comme indépendante de la sélection.

 Mais la théorie prédominante à l’époque est le fixisme, ou plutôt les fixismes. Cette conception statique traditionnelle de l’état du monde sera progressivement remplacée par une vision dynamique de son développement. Cette remise en question débute avec les conceptions cosmologiques du chanoine polonais Copernic (1473 – 1543), et surtout celles de Galilée (1564 – 1642) qui détrônent la Terre de sa position centriste et la relègue sur une orbite circum-solaire au même titre que les autres planètes.

 Un autre conflit qui dressait les savants en deux camps est celui de l’opposition entre uniformistes et catastrophistes. Stephen Jay Gould a débattu de ce thème dans l’essai 18, Uniformité et catastrophe, de son premier ensemble d’essais sur les réflexions sur l’histoire naturelle, Darwin et les grandes énigmes de la vie.

Le « principe d’uniformité » fut développé par le géologue britannique Charles Lyell dans son livre Principes de géologie (1830).

 « […], il y proclamait avec audace que le temps n’a pas de limite. Ayant posé ce principe fondamental, il prit position en faveur d’une théorie "uniformitariste", doctrine qui fit de la géologie une science. Les lois naturelles sont invariables. Comme on dispose d’une quantité de temps illimité, l’action lente et continue des éléments suffit pour expliquer le passé. Le présent donne la clé du passé »[1].

 Donc, en d’autres termes, pour Lyell, les causes responsables des changements étaient non seulement considérées comme étant de même nature que celles agissant dans le présent (causes actuelles), mais encore étaient tenues pour avoir opérées avec la même intensité que leurs équivalents modernes (principe d’uniformité). De plus, du fait du temps illimité, l’uniformitarisme ou actualisme se trouvait en conflit avec la chronologie des théologiens et des cosmogonistes.

 Rappelons qu’en se basant sur la chronologie biblique l’archevêque anglican James Ussher (1581-1656) était arrivé à situé la création du monde au 23 octobre de l’an  4004 av. J.C. !

 Le camp adverse était celui du catastrophisme, particulièrement défendu par Cuvier, pour qui la surface de la Terre avait subi plusieurs grandes révolutions, inondations presque universelles ou bouleversements volcaniques. Pour les défenseurs de cette option, les causes actuelles ne suffisent pas à expliquer les cataclysmes du passé. Parmi ceux-ci on peut citer Cuvier, Agassiz, Sedwick et Murchison qui tous reconnaissaient que notre planète était très vieille et cherchaient à expliquer les catastrophes par des causes naturelles.

 Actuellement, la géologie moderne est en fait un mélange harmonieux de conceptions tirées de l’uniformisme rigide de Lyell et du catastrophisme scientifique de Cuvier et Agassiz.

 

 II.   Théologie naturelle

 

 

          

        A. William Paley (1743-1805)

 « Natural Theology » (Théologie naturelle) du révérend William Paley, publiée en 1802, a été un des ouvrage les plus influent du XIXe siècle. Cette philosophie a dominé la zoologie britannique depuis Robert Boyle, physicien et chimiste irlandais (1627-1691), à la fin du XVIIe siècle, jusqu’à Paley, avant d’être détrônée par Darwin.

 La notion centrale de ce courant philosophique est l’ « argument du dessein » dont le principe était d’identifier des causes finales dans la nature en tant que preuves de l’existence de Dieu, de ses pouvoirs et de son incessante bienveillance[2].

 « Les adeptes de la théologie naturelle voyaient l’œuvre de Dieu non seulement dans les adaptations des organismes, mais aussi dans l’arrangement supposé de la nature qui leur paraissait refléter la supériorité de l’homme et la vocation de ce dernier à la dominer »[3].

 Dans le chapitre « Darwin et Paley rencontrent la main invisible » tiré de son sixième volume sur les réflexions sur l’histoire naturelle, Comme les huit doigts de la main, Stephen Jay Gould analyse le cheminement de la pensée du révérend. Par le biais de cette analyse, Gould veut montrer qu’en science :

 « L’innovation véritable est presque toujours une addition par rapport à ce qui était antérieurement concevable et ne consiste pas en une simple permutation des possibilités déjà en main. Le progrès des connaissances ne ressemble pas à une tour montant vers le ciel, édifiée brique à brique, mais résulte d’une série d’avancées, de progressions sur de fausses pistes et de percées, ce qui donne une construction de structure bizarre et sinueuse, finissant néanmoins par s’élever » (p. 158).

 Pour Paley, « il est évident que Dieu a créé les organismes, étant donné la bonne adéquation de leurs formes et de leurs fonctions au mode de vie qu’il leur a assigné […] » (p. 154).

 Paley s’exprime par métaphores. Il prend pour exemple la montre trouvée par hasard sur son chemin. Elle doit forcément avoir été conçue par un horloger. Ainsi pour expliquer la complexité et l’édification d’une structure adaptée à un usage particulier (aile admirablement adaptée au vol), il fait appel à un concepteur.

 « Il ne peut pas y avoir de plan sans concepteur, de mécanisme sans ingénieur […] Il est impossible de ne pas voir les marques du dessein tant elles sont fortes. Le plan qui répond à un projet a nécessairement eu un concepteur. Ce dernier doit obligatoirement avoir été une personne. Et celle-ci est DIEU ».

 Toutefois, Paley se trouva confronté à une énigme lorsqu’il aborde l’analyse du comportement des organismes complexes.

 « Comment interpréter les comportements instinctifs qui n’apportent aucune satisfaction immédiate, mais semblent, au contraire, enferrer un animal dans la douleur et la détresse » (p. 152).

 Pour résoudre ce délicat problème, Paley y voit une « main invisible » qui ne peut être que celle de Dieu, et à l’instar de la montre qui implique un horloger, les organismes plus complexes encore requièrent « un Dieu bienveillant et créateur ».

 Bien que l’argumentation de Paley puisse prêter à moquerie et ne soit plus acceptable de nos jours, bien que les mouvements créationnistes y reviennent, elle mérite, d’après Gould, notre respect « en tant que philosophie qui eu jadis sa cohérence, appuyée sur un système de défense subtil – c’est une « vision du monde fossile » qui peut stimuler nos réflexions, si nous voulons essayer de comprendre nos propres penchants en étudiant l’histoire des théories alternatives » (p. 156).

 Gould poursuit :

« Dans la thèse centrale de Paley, on trouve une affirmation – les organismes sont admirablement agencés de façon à répondre à un but précis – et une déduction – un bon agencement asservi à une fin implique qu’il ait eu un concepteur » (p. 156).

 « Paley ne peut imaginer que deux conceptions à sa proposition selon laquelle la bonne adaptation à une fin suppose un concepteur. La plus grande partie de son livre est consacrée à la réfutation de ces explications concurrentes » (p. 156)

La bonne adaptation existe, mais sa création n’implique pas ce qui en résulte actuellement […] Supposez que la forme ait été élaborée pour d’autres raisons (par exemple, en tant que résultat direct de lois physiques), puis ait trouvé un usage donné parce que, fortuitement, elle y convenait » (p. 156).

 L’explication est valable pour des structures simples mais non pour des structures plus complexes, « constituées de centaines d’éléments, tous orientés dans le même sens, et chacun dépendant de tous les autres », estime Paley.

 La bonne  adaptation existe, et implique qu’elle ait été produite dans le cadre de sa finalité actuelle ; mais elle a découlé d’une élaboration naturelle, par une lente évolution vers le but désiré, et non pas par une création divine soudaine […]

Paley ne pouvait se représenter l’évolution que sous la forme d’une série d’étapes positives orientées vers un but, édifiant l’adaptation petit à petit » (p. 157).

 Il s’efforce de réfuter « la théorie "lamarckienne" du changement évolutif par le biais de l’usage et du non-usage et grâce à l’hérédité des caractères acquis ».

 Il existe cependant une troisième option non reprise par Paley qui « considère que l’évolution est à la source de la bonne adaptation ».

 « Mais au lieu de voir l’évolution comme un mouvement tendant vers un but, elle pose que l’adaptation se construit négativement – par l’élimination de tous les individus qui ne varient pas fortuitement dans la direction favorable, et ne permettant qu’à une toute petite minorité de transmettre aux générations suivantes leur fortuné héritage » (p. 159).

 Cette option est très peu efficace et défie la logique dans un monde aux rouages d’horlogerie, construit selon les normes de Paley. Elle correspond à la « sélection naturelle » de Darwin et repose sur la notion d’hécatombe.

 « La sélection naturelle est une longue suite d’hécatombes. Les individus présentent des variations sans direction préférentielle, par rapport à une morphologie moyenne au sein de la population. Elle favorise une petite proportion de cette gamme. Les individus chanceux qui en relèvent laissent davantage de rejetons survivants ; les autres meurent sans descendance (ou avec une descendance moins nombreuses). La morphologie moyenne se déplace lentement dan la direction préférentielle, petit à petit à chaque génération, par le biais de l’élimination massive des individus présentant une morphologie moins favorable » (p. 159).

 Cette thèse révolutionnaire pour l’époque est l’une des seules qui puisse renverser la croyance de Paley.

 

 III.  Les fixismes

 

On rencontre différents types de fixismes : ceux qui considèrent une création unique et ceux pour qui les créations sont répétées. Ceux qui croyaient aux créations successives de faunes de plus en plus perfectionnées ont reçu le nom de progressionnistes. Ces théories s’opposeront au transformisme et particulièrement en France au lamarckisme.

 

 Ce courant créationniste, relié à la Genèse biblique, est fort ancien et a longtemps dominé la pensée occidentale. Malheureusement il reprend vigueur avec de nouvelles tendances comme celle du « dessein intelligent » qui se dit rigoureusement scientifique.

 

         A. La création unique

           

              a. Karl von Linné (1707 – 1778)

 

La notion d’espèce animale et végétale a été introduite dans les sciences biologiques au début du XVIIIe siècle, par le naturaliste suédois Karl von Linné, avec sa nomenclature binominale qui prévaut toujours. Pour lui, les espèces existantes sont des groupes parfaitement fixes et immuables, crées en l’état lors d’une seule création divine.

 « Il y a autant d’espèces que de formes diverses produites dès le début par l’être infini. » (Linné, Classificatio Plantarum, 1738).

 Cette conception se basait sur la philosophie d’Aristote (-384 - -322)[4] qui a exercé une influence majeure sur la science et la philosophie de l’Islam à leurs débuts et sur la pensée chrétienne du Moyen Age.

D’après Aristote, ce que nous appelons « espèces » sont des formes substantielles, immatérielles que la nature tend à réaliser par l’agencement de la matière. Formes immatérielles, donc nécessairement fixes, stables, immuables dans leur essence et dans les caractères essentiels qu’elles déterminent.

Exemple : bien que tous les éléphants qui se succèdent sur terre ne sont pas rigoureusement identiques, car ils varient suivant des caractères accessoires (taille, couleur, dimensions de leurs défenses, etc.), l’espèce « éléphant », principe formel, est immuable, avec des caractères spécifiques essentiels (trompe, incisives supérieures développées en défenses, une énorme molaire en pavé par demi-mâchoire, etc.).

 Revenons-en à Linne et à sa nomenclature binominale. Selon son principe, chaque espèce est désignée par deux mots latins ou latinisé, le premier terme, avec une majuscule, étant le nom du genre et le deuxième (adjectif ou substantif, avec minuscule) celui de l’espèce.

Exemple : Parmi les bergeronnettes, petits passereaux terrestres, on trouve les espèces suivantes :

-            La bergeronnette printanière : Motacilla flava

-            La bergeronnette grise : Motacilla alba

-            La bergeronnette des ruisseaux : Motacilla ciinerea

Toutes trois sont du genre Motacilla et de la famille des Motacillidae.

 En fait, cette approche systématique est destinée à rendre intelligible le plan divin de création, c’est pourquoi on la qualifie de « science divine »

Toutefois, dans cette classification on constate un regroupement des espèces en mettant l’accent sur les ressemblances. Cela peut supposer que celles-ci sont issues d’un ancêtre commun. C’est ce que laisse sous-entendre Linné à la fin de sa vie, après avoir défendu le créationnisme.

 « J’ai longtemps nourrit le soupçon, et je n’ose le présenter que comme une hypothèse, que toutes les espèces d’un même genre n’ont constitué à l’origine qu’une même espèce qui s’est diversifiée ».

 Son raisonnement s’arrête là. Il n’osera pas aller plus loin !


              b. Michel Adanson (1727 – 1806)

 

 Le botaniste français Michel Adanson se rallie à la pensée essentialiste de Linné. Il élabora une nouvelle méthode de classification dite naturelle. Pourtant, il avait aussi entrevu l’interprétation transformiste de la classification :

 « Les Espèces changent de nature. Il paroît donc suffisamment prouvé… que l’art, la culture & encore plus le hazard, c’est-à-dire certaines circonstances inconnues, font naître non-seulement tous les jours, des variétés dans les fleurs…, mais même quelquefois des Espèces nouvelles… sans compter nombre d’autres Plantes qui passent pour des Variétés nouvelles & qui se perpétuent peut-être & forment autant d’Espèces… De là la difficulté de définir quels sont les corps primitifs de la création, quels sont ceux qui, par la succession de la reproduction, ont pu être changés ou même produits de nouveau par des causes accidentelles » (Familles des Plantes, 1763, p. CXIII-CXIV).

 Malgré cette intuition, Adanson ne poursuit pas son développement et au contraire la renie. Pour lui, les variations au sein d’espèces botaniques sont considérées comme des monstruosités.

 « Tous les exemples cités jusqu’ici comme des changements d’espèces, ou comme des formations de nouvelles races constantes, ne sont que des variétés ou des monstruosités qui ne se perpétuent pas constamment telles par la voies des graines […] L’esprit de vérité qui nous a guidé, après avoir vu par nous-mêmes et apprécié ces faits, doit nous faire tirer des conclusions directement opposées, et nous porter à dire que la transmutation des espèces n’a pas lieu dans les plantes, non plus que dans les animaux et qu’on n’en a pas de preuve directe, même dans les minéraux, en suivant le principe reçu, que la constance est essentielle pour déterminer une espèce » (Examen de la question si les espèces changent parmi les plantes. Nouvelles expériences tentées à ce sujet, 1769).

 Dans ce texte, Adanson insiste sur la constance de l’espèce, entrant ainsi dans le débat qui tourne autour de cette notion : tantôt c’est la constance qui est mise en avant, tantôt ce sont les variations au sein des espèces.


             c. Georges Louis Leclerc, comte de Buffon (1707 – 1788)

 

Buffon adhère également à cette notion fixiste radicale. Bien qu’étant le maître de Lamarck, il s’opposera jusqu’à sa mort à ses idées transformistes ainsi qu’à celles d’Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire. A mesure qu’il avance dans la rédaction de son « Histoire des Quadrupèdes » on sent cependant une certaine évolution tout comme nous l’avions constaté chez Linné. Il avait parfaitement analysé le principe des ressemblances et des rapprochements morphologiques comme on peut le constater dans le passage suivant.

 « L’âne et le cheval, mais même l’homme, le singe, les quadrupèdes et tous les animaux, pourraient être regardés comme ne faisant que la même famille… Si l’on admet une fois qu’il y ait des familles dans les plantes et dans les animaux, que l’âne soit de la famille du cheval, et qu’il a dégénéré[5], on pourra dire également que le singe est de la famille de l’homme ; que c’est un homme dégénéré ; que l’homme et le singe ont eu une origine commune comme le cheval et l’âne ; que chaque famille, tant dans les animaux que dans les végétaux, n’a eu qu’une seule souche, et même que tous les animaux sont venus d’un seul animal qui, dans la succession des temps, a produit en se perfectionnant et en dégénérant, toutes les races des autres animaux » (Histoire naturelle générale et particulière, tome 4, 1753)

 Dans un chapitre qu’il consacre à la « dégénération » des animaux (Œuvres complètes, T. XIV, p.139), il revient sur le problème de la transmutation des espèces : c’est dans cette partie de son œuvre qu’il développe le plus abondamment ses vues sur les modifications imposées par les conditions environnementales aux organismes vivants. Il se pose la question de savoir si ces modifications peuvent amener à de nouvelles espèces.

 En ce qui concerne la position de l’Homme, Buffon va plus loin que Linné qui lui avait assigné une place dans la classification animale, parmi les Primates. Il situe l’homme auprès des grands singes pour ce qui est son organisation physique, mais il reconnaît la « distance qui sépare l’espèce humaine de la plus élevée des espèces animales ». De plus, une de ses grandes idées est l’unité essentielle du genre humain. Pour différentes qu’elles soient les unes des autres, toutes les variétés, ou races, ne sont qu’altérations d’un seul type originel, d’une souche commune (Jean Rostand[6]).

 Pour Buffon, les dissemblances raciales sont le résultat des conditions externes : nourriture, climat, culture, lumière, métissage, etc.

 « Il y a apparence qu’avec le temps, un peuple blanc, transporté du nord à l’équateur, pourrait devenir brun et tout-à-fait noir, surtout si ce peuple changeait de mœurs et ne se servait pour nourriture que des productions du pays chaud dans lequel il aurait été transporté ». Et inversement : « Il y a toutes les raisons du monde pour présumer que, si l’on transportait des nègres dans une province du nord, leurs descendants, à la huitième, dixième ou douzième génération, seraient beaucoup moins noirs que leurs ancêtres, et peut-être même aussi blancs que les peuples originaires du climat froid où ils habiteraient » [7]. Il est évident que cette affirmation s’avère fausse, mais on peut y voir Buffon en précurseur du transformisme lamarckien, avec la transmission héréditaire des modifications produites par le milieu environnant.

 Une autre intuition intéressante de Buffon concerne la sélection naturelle : il fut l’un des premiers à noter que l’état de civilisation peut avoir pour conséquence d’accroître, dans une collectivité humaine, le nombre des sujets débiles ou malformés (Rostand).

 « Dans une nation sauvage on trouve peut-être des hommes plus petits, plus laids, plus ridés, par suite des mauvaises conditions de vie ; en revanche, il se pourrait que, dans une telle nation, il y eut beaucoup moins de boiteux, de sourds, de louches, etc. Ces hommes défectueux vivent et même se multiplient dans une nation policée où l’on se supporte les uns les autres, où le fort ne peut rien contre le faible, et où les qualités du corps font beaucoup moins que celles de l’esprit ; mais, dans un peuple sauvage, comme chaque individu ne persiste, ne vit, ne se défend que par ses qualités corporelles, son adresse et sa force, ceux qui sont malheureusement nés faibles, défectueux, ou qui deviennent incommodes, cessent bientôt de faire partie de la nation »[8]

 Lui aussi, comme ses prédécesseurs, n’ira pas plus loin. On dirait même en lisant le passage suivant qu’il se reprend en proclamant l’irréductibilité de l’espèce.

 « Mais non, il est certain, par la révélation, que tous les animaux ont également participé à la grâce de la création, que les deux premiers de chaque espèce et de toutes les espèces sont sortis tout formés des mains du Créateur ».

 Buffon n’étant pas transformiste a toutefois préparé le terrain. Ses idées, comme nous l’avons constaté, l’ont conduit à la notion de variabilité des espèces sous l’influence des conditions extérieures, ce que l’extrait suivant confirme :

 « … de nouvelles espèces pourraient apparaître avec le temps, sous l’influence d’un climat nouveau ».


            d. Jean-Claude Delamétherie (1743-1817)

 

 On retrouve cette idée de création unique chez d’éminents savants comme le naturaliste, minéralogiste, géologue, paléontologue français, Jean-Claude Delamétherie, à travers sa conception qu’il se fait de la vie et de la mort des espèces.

 La mort de Louis Jean-Marie Daubenton (1716-1800) lui donne l’espoir de le remplacer au Collège de France (1812), malheureusement, c’est Cuvier qui sera choisi. Cuvier ne pouvant assumer seul toute sa charge, lui confie l’enseignement de la géologie. Delamétherie est l’un des premiers pédagogues à entreprendre des leçons de géologie sur le terrain.

 Comme Lamarck et contrairement à Cuvier, il nie les espèces perdues. Dans son cas, cette négation des espèces disparues renforce son adhésion à un fixiste du monde. Pour lui, aucune espèce ancienne ne manque à l’appel des espèces existantes actuellement. : il n’y aurait eu ni création répétée, ni création continue, mais un acte créateur unique, à l’origine des temps.

 Les espèces anciennes qui « paroissaient plus ou moins différentes des analogues vivans » ne doivent pas être classées dans d’autres catégories spécifiques. Ces fossiles différents sont en fait des variétés de la même espèce, qui continue à exister de nos jours. Leurs différences sont dues « à l’influence des climats, de la température, à la dégénérescence des races, à l’âge des individus »[9]. Il reconnaît donc que « le climat, la température, la nourriture, le croisement des races, les nouvelles espèces hybrides […] ont produit des changements considérables dans la suite des siècles, chez les espèces existantes » (ibid.), il n’est pas moins vrai pour Delamétherie que le résultat n’est pas la production de nouvelles espèces, mais seulement le maintien des anciennes sous l’aspect de leurs variétés.


             e. Henri Ducrotay de Blainville (1777 – 1850)

 

de Blainville rentre au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris grâce à Cuvier. Très rapidement les deux hommes s’opposeront et arriveront à se détester, essayant de se nuire mutuellement. En 1830, il succède à Lamarck à la chaire d’histoire naturelle et deux plus tard, à celle d’anatomie comparée laissée vacante par le décès de Cuvier. C’est lui qui, en 1813, élève au rang de classes indépendantes les Reptiles et les Amphibiens ou Batraciens, réunis jusqu’alors.

 de Blainville s’oppose farouchement à la théorie transformiste de Lamarck et de Geoffroy-Saint-Hilaire.

 « Il est impossible d’admettre avec certains naturalistes, écrit-il au sujet des formes fossiles, qu’elles puissent être considérée comme une forme primitive de quelques espèces actuelles qui n’en seraient ainsi qu’une transformation »[10]

 De Blainville, comme les autres naturalistes qui ont pratiqué la paléontologie au début du XIXe siècle, n’a pas élaboré sa vision du monde à partir de cette discipline. Il est philosophiquement fixiste et créationniste, et c’est seulement après qu’il cherche  les documents que lui fournit l’étude du passé pour étayer son système. Grâce aux fossiles intermédiaires manquants, mais nécessaires, de la série animale, il peut confirmer sa conception d’un monde vivant unique et continu. Pour lui, chaque espèce fossile a sa place désignée d’avance dans la série animale complète des débuts de la création : celles « dont nous ne connaissons plus les analogues » n’en sont que « des termes éteints » (G. Laurent). Donc, tous les êtres, aussi bien vivants que fossiles, rentrent dans une même classification que tente de Blainville. Cette opération est pour lui nécessaire et normale.  Tout les êtres, actuels et anciens, ayant existé autrefois en même temps, trouvaient leur place dans un même tableau ; si le monde animé d’aujourd’hui présente des lacunes, ces lacunes sont aisément et le plus naturellement du monde remplies par les fossiles, qui représentent seulement la place qui était la leur dans la création primitive (G. Laurent)

 Il est donc fixiste, tout comme Delamétherie, mais d’une manière encore plus orthodoxe, puisqu’il refuse non seulement la transformation des espèces mais également la création d’espèces nouvelles. Il soutient le dogme d’une seule création originelle et complète. En fait, sa vision du monde n’est en aucun cas scientifique ; elle est basée sur un apriori lié à des préjugés religieux. Sa compréhension de la nature se fonde d’abord sur « la philosophie religieuse, la seule bonne et la seule vraie », assure-t-il, qui lui fait soutenir que Dieu a créé tous les êtres en une seul fois « dans la grande et sublime harmonie des choses »[11].

 De Blainville est tombé pratiquement dans l’oubli et a été fortement dénigré par ses pairs. Toutefois deux de ses idées ne sont pas perdues : l’introduction de la notion d’espèces intermédiaires, et la persistance de l’action des causes ordinaires à travers les temps géologiques.


              f. Constant Prévost (1787 – 1856)

 

Le géologue français Constant Prévost fut l’élève de Cuvier, puis celui d’Alexandre Brongniart. Il sera, dès 1819, professeur de géologie à l’Athenaeum et à l’Ecole centrale des Arts et Manufactures, puis, en 1831, à la Faculté des Sciences de Paris. Il rencontrera de Blainville dont il deviendra l’ami.

 Catastrophiste au départ, sous l’influence de Cuvier, il adhère en fin de compte au principe des « causes actuelles » en même temps que Lyell.

C’est son opposition, en 1827, aux alternances de dépôts marins et fluviatiles qui le conduit à sa profession de foi actualiste, et le mènera, par cet intermédiaire, à nier les créations successives et a rejeter le progressionnisme pour adhérer au créationnisme unique sous l’influence de son ami de Blainville.

 Ce qui, à l’époque, opposait les scientifiques était le problème entre passé et présent, désigné par le couple continuité/discontinuité. Les discontinuités font appel à des catastrophes qui assèchent périodiquement le fond des mers et/ou inondent les continents. Ce à quoi Prévost répond qu’il n’est pas « nécessaire, pour expliquer les faits géologiques, de faire intervenir des causes extraordinaires qui ne sauraient agir maintenant qu'en troublant l'ordre de l'univers »[12]

 Les retours périodiques de la mer sur les continents, imaginés par Cuvier et Brongniart comme des catastrophes, introduisent une discontinuité entre l'état actuel du globe et ses états antérieurs. A Cuvier qui, dans son Discours sur les révolutions de la surface du globe, lançait sa phrase devenue célèbre : « le fil des opérations est rompu », Prévost répliquait : «  je n'ai été arrêté nulle part dans cette tentative de lier le passé au présent, par ce qu'on appelle une limite tranchée entre la nature ancienne et la nature actuelle »[13] .

 C’est un partisan des affaissements, qu’il opposait aux soulèvements. Il enseignait que les montagnes n’étaient pas dues à des cataclysmes violents, éruptions ou tremblements de terre comme le préconisaient les catastrophistes, mais à une rétraction inégale, lente et incessante de la croûte terrestre.

 On trouve chez Prévost un ensemble d’affirmations disparates, dont les incompatibilités logiques font preuve d’une intelligence qui refuse de se laisser enfermer dans un système établi. Certaines de celles-ci pourraient laisser supposer qu’il avait adhérer aux idées transformistes ou à une création répétée.

 Au début de sa carrière, il croyait à une modification progressive de la nature vivante.

« Les corps organisés fossiles dont on retrouve les débris dans les coches de la terre, différent d’autant plus que les êtres actuellement existans, qu’ils sont enfouis dans des couches plus anciennes »[14].

Et encore : « On ne peut douter que les changements d’organisation et de forme n’aient eu lieu dans la série des êtres qui ont successivement précédé ceux qui existent maintenant »[15].

 Au fil du temps, dans ce domaine comme dans celui des transgressions marines il en vient à s’écarter des idées de ses mentors.

 Comme tous les scientifiques de l’époque, Prévost se trouve confronté aux changements de faunes qui restent difficiles à expliquer. Les destructions peuvent être "l'effet d'un déluge qui aurait anéanti des races entières de grands animaux déjà répandus sur la terre"[16]. Dans ce propos on sent un relent de catastrophisme. Quant à l'apparition, plus problématique encore, de nouvelles espèces, Prévost n'est pas très clair. Lorsqu'il dit que le calcaire grossier est antérieur à « la création des mammifères terrestres »[17], on peut supposer qu'il y a eu création successive des formes animales. Mais lorsque Prévost soutient que « depuis la création jusqu'à nos jours, il y a eu dans la chaîne (des êtres)... des modifications graduées »[18], c’est plutôt, une création unique suivie de transformations des espèces qu’il évoque.

Toutefois pour résoudre ce dilemme, Prévost nie la relation de cause à effet entre le milieu et la forme des êtres et fait appel aux migrations pour souligner l’influence de distribution et de redistribution des populations.

           

             g. Edouard Lartet (1801 ) 1871)

 

Ce paléontologue et préhistorien français est considéré comme étant le père de la paléontologie humaine. En 1836, il découvre dans le gisement miocène de Sansan (Gers) la mâchoire du premier grand singe fossile, le Pliopithèque (Pliopithecus anticus). Cette découverte va à l'encontre des théories de Georges Cuvier,  mort depuis trois ans, qui avait affirmé que les singes fossiles ne pouvaient pas exister. 

Une commission d'enquête est nommée, présidée par de Blainville qui a succédé à Cuvier à la chaire d'anatomie comparée du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris. Celle-ci confirme la découverte. Pour Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire, c’est la confirmation de la théorie de l’évolution qui opposait les partisans de Cuvier et les transformistes : « La découverte de la mâchoire fossile de singe de M. Lartet me parait appelée à commencer une ère nouvelle du savoir humanitaire. »

 En 1856, Lartet découvre un fragment de mâchoire d’un autre primate plus évolué, le Dryopithèque (Dryopithecus fontani) qui à l’époque est le fossile le plus proche de l’Homme.

 En 1860, Lartet entreprend à Massat (Ariège) et à Aurignac (Haute-Garonne) des fouilles archéologiques. Il trouve des ossements d’animaux manifestement incisés par la main de l’homme et des outils lithiques. Ces découvertes  contribuèrent à démontrer la contemporanéité de l'Homme avec des espèces animales disparues, avancée dès 1851 par le naturaliste français Jean-Baptiste Noulet (1802-1890).

 En 1861, il propose une chronologie du Quaternaire fondée sur les espèces successives de grands mammifères dominants,

-          l'âge de l'ours des cavernes ;

-          l'âge du mammouth ;

-          l'âge du renne ;

-          l'âge de l’auroch.

 A partir de cette dernière, il établit une classification des industries lithiques paléolithiques : l'aurignacien et le magdalénien ont une relation directe avec les explorations menées dans les grottes d'Aurignac (Haute-Garonne) et de la Madeleine (Tursac, Dordogne).

 En 1863, il fouille avec l'ethnologue et préhistorien anglais Henry Christy (1810-1865) certains des sites majeurs du Périgord, dont Le Moustier, Laugerie-Basse et La Madeleine. Dans ce dernier, la découverte d’une lame d’ivoire incisée, dont les gravures représentaient les traits  d’un Mammouth apporte une preuve décisive de l'existence d'un art préhistorique. Sa renommée nationale est au plus haut.

 Grâce à ses découverte et à ses travaux, Lartet apporte la preuve de l’ancienneté des Primates et de l’Homme.

 Curieusement, notre préhistorien n’adhère pas aux idées transformistes, pourtant adoptés par nombre de ses pairs. Il s’en tient à un fixisme orthodoxe. Pour lui, la haute antiquité qu’il attribue aux Singes et à l’Homme n’apporte pas d’argument en faveur d’une parenté ancestrale. De ce point de vue, il se rapproche plus d’un de Blainville que d’un Lamarck. Pour lui aussi, les restes d’animaux disparus que l’on retrouve servent à combler les « lacunes de notre série animale ». Grâce à eux, la création primitive se laisse entrevoir dans sa plénitude originelle : « on dirait autant d’animaux retrouvés de la grande chaîne qui reliait anciennement tous les êtres de cette magnifique création primitive dont il ne reste plus à l’état vivant que quelques débris épars à la surface du globe »[19].

 Dans cette perspective, il est normal que Lartet défende l’ancienneté de l’Homme quitte à le faire remonter jusqu’au Miocène. Dans un monde où toutes les espèces animales étaient apparues dès le début, il ne pouvait plus y avoir d’Histoire, comme pour de Blainville, sinon celle d’un appauvrissement continuel (G. Laurent).

 

        B. La création répétée

           

             a. Georges Cuvier (1769 – 1832)

 

Georges Cuvier, fondateur de l’anatomie comparée et de la paléontologie des Vertébrés, a incontestablement établit la réalité des espèces disparues et de leur succession dans le temps. Pour expliquer ces changements de faune d’une époque à l’autre, il fait intervenir des catastrophes géographiques (« révolutions du globe ») générales ou circonscrites entraînant la disparition de pans entiers du monde vivant, suivies de nouvelles créations ou de « migrations » assurant les repeuplements.

 « Qu’on se demande pourquoi on trouve tant de dépouilles d’animaux inconnus, tandis qu’on n’en trouve presque aucune dont on puisse dire qu’elle appartienne aux espèces que nous connoissons, et l’on verra combien il est probable qu’elles ont appartenu à des êtres d’un monde antérieur au nôtre, à des êtres détruits par quelques révolutions de ce globe ; êtres dont ceux qui existent aujourd’hui ont rempli la place, pour se voir peut-être un jour également détruits et remplacés par d’autres » (Mémoire sur les espèces d’Eléphans vivantes et fossiles, 1799)

 Son nom reste attaché à deux théories dont il s’était fait le champion : sa théorie des catastrophes et la fixité des espèces. Cela l’amènera,  au début du XIXe siècle, à affronter l’un de ses pairs du Musée d’Histoire Naturelle de Paris, Lamarck, à qui, il vouera une animosité sinon une haine.

 « Parmi les divers systèmes sur l’origine des êtres organisés, il n’en est pas de moins vraisemblable que celui qui en fait naître successivement les différents genres par des développements ou des métamorphoses graduelles » (Recherches sur les Ossements fossiles, Bull. des Sc.nat. et de Géol., t. 3, 1822, p. 297-298).

 Cette confrontation entre ces deux fortes personnalités qui marquent à l’époque la vie scientifique française débute par une communication de Cuvier adressée à l’Institut, le 12 novembre 1800. Par l’étude des fossiles, il voulait proposer une vision du passé de la Terre et de la Vie qui allait à l’encontre de celle en vigueur parmi ses pairs. L’élément principal de celle-ci était l’affirmation du Catastrophisme.

 « La question principale, affirme-t-il, est de savoir jusqu’à quel point est allée la catastrophe qui a précédé la formation de nos continents actuels »[20]

 Pour résoudre ce problème, « il s’agit surtout de rechercher si les espèces qui existoient alors ont été entièrement détruites, ou seulement si elles ont été modifiées dans leur forme, ou si elles ont simplement été transportées d’un climat dans un autre ».

De ces trois solutions proposées, Cuvier choisi la première : la destruction des espèces disparues. Cela entraîne l’idée de mondes peuplés, successivement détruits par des catastrophes, et successivement reconstruits. L’idée est révolutionnaire pour l’époque ; elle n’est pas conforme à la création biblique et va à l’encontre de la vision de Buffon.

 Une autre question se pose. Après s’être demandé comment disparaissent les êtres antiques, il se demande « comment ceux qui leur ont succédé furent-ils formés ? » Afin de résoudre les problèmes que soulève cette délicate question, Cuvier se lance dans l’étude des fossiles de grands quadrupèdes car, « les ossements de quadrupèdes peuvent conduire, par plusieurs raisons, à des résultats plus rigoureux qu’aucune autre dépouille de corps organisés[21] ».

 Cela lui permettra de lier constamment les deux notions de disparition des espèces et de catastrophes géologiques. Cuvier nie donc la continuité biologique des espèces d’époques différentes qui sera défendue par Lamarck. En fait pour lui, l’explication réside en des créations divines successives après chaque catastrophe.

 Dans la préface de son « Règne animal distribué d’après son organisation » (1817), dans lequel il cherche à établir une classification logique selon une méthode basée sur une division en classe, ordre, genre, espèce, Cuvier insiste sur le fait que cette classification ne suit pas une échelle graduelle allant du plus primitif au plus complexe comme chez Lamarck.

« Pour prévenir une critique qui se présentera naturellement à beaucoup de personnes, je dois remarquer d’abord, que je n’ai eu ni la prétention, ni le désir de classer les êtres de manière à en former une seule ligne, ou à marquer leur supériorité réciproque. Je regarde même toute tentative de ce genre comme inexécutable ; ainsi je n’entends pas que les mammifères ou les oiseaux, placés les derniers, soient les plus imparfaits de leur classe ; j’entend encore moins que le dernier des mammifères soit plus parfait que le premiers des oiseaux, le dernier des mollusques plus parfait que le premier des annélides ou des zoophytes ; même en restreignant ce mot vague de plus parfait, au sens de plus complètement organisé. Je n’ai considéré mes divisions et subdivisions que comme l’expression graduée de la ressemblance des êtres qui entrent dans chacune ; et quoique il y en ait où l’on observe une sorte de dégradation et de passage d’une espèce à l’autre, qui ne peut être niée, il s’en faut de beaucoup que cette disposition soit générale. L’échelle prétendue des êtres n’est qu’une application erronée à la totalité de la création de ces observations partielles […] »[22]

 En recherchant les « lois générales de positions ou de rapports des fossiles avec les couches », il parviendra à définir quatre âges distincts, chacun caractérisé par une association de vertébrés différents :

-            Le premier est celui des Reptiles ;

-            Le deuxième, au dessus de la craie, est dominé par des « Pachydermes » (animaux à la peau épaisse), dont une majorité en provenance des plâtrières de Montmartre ;

-            Le troisième, ou Alluvium se caractérise par des Pachydermes gigantesques, des Eléphants, des Rhinocéros, des Hippopotames, des Chevaux, etc. dont les différences avec les espèces actuelles ne sont que spécifiques ;

-            Le dernier, ou Diluvium, est celui de l’Homme, avec le déluge biblique responsable de la disparition des Pachydermes de l’époque précédente.

 Cette théorie pouvait être confrontée au modèle de la succession des formations géologiques établie par Humboldt. Donc, incontestablement, Cuvier a jeté les bases de la biostratigraphie continentale, fondée sur les exigences logiques de l’interprétation stratigraphique des fossiles.

 Si au départ, Cuvier considérait les « révolutions du globe » comme étant globales avec une extinction complète des espèces, il admettra plus tard que ces catastrophes peuvent être circonscrites à certains territoires et que le repeuplement se fait par migrations des espèces à partir de régions indemnes.

 Qu’elles que soient ses idées, Cuvier a contribué à une meilleure connaissance de la paléontologie et il fut un des plus grands naturalistes de tous les temps.

             

             b. Alcide d’Orbigny (1802 – 1857)

  

Alcide d’Orbigny rencontre le naturaliste et explorateur allemand Alexandre von Humbolt (1769-1859) qui s’était rendu célèbre en explorant le nord de l’Amérique du Sud entre 1799 et 1804. Ce dernier était accompagné d’un jeune botaniste, Aimé Bonpland, un intime de la famille d’Orbigny. C’est grâce à cette rencontre qu’Alcide réalisera son destin en étant choisi par le Muséum d’Histoire Naturelle de Paris comme voyageur naturaliste pour une nouvelle mission en Amérique du Sud. Il s’embarque le 30 juin 1826 et son voyage durera sept ans et sept mois. A son retour en France, il consacrera treize années, de 1835 à 1847, à la rédaction de ses mémoires.

Peignant les différentes populations qu'il rencontre, il conclura en 1839 : "notre conviction intime est que parmi les hommes il n'y a qu'une seule et même espèce". Ce qui peut paraître banal à notre époque, ne l’était guère du temps des colonies et à l’aube du racisme scientifique.

Alcide d’Orbigny est considéré comme le père de la stratigraphie. De 1849 à 1852, il rédige un « Cours élémentaire de paléontologie et de géologie stratigraphiques », dans lequel il donne une vision synthétique et extrêmement détaillée de la stratigraphie.

Il définit 28 étages géologiques, du Silurien à l’Actuel, en donnant au mot « étage » un sens plus précis qu’auparavant et qu’il a gardé depuis.

C’est ainsi qu’il décrit un grand nombre de ceux-ci encore utilisés aujourd’hui, à partir de sites français comme : Sinémurien de Semur-en-Auxois (Côte d'Or), Toarcien de Thouars (Deux-Sèvres), Bajocien de Bayeux (Calvados), Aptien d'Apt (Vaucluse), Albien de Alba, rivière de l'Aube, Cénomanien (en latin Cenomanum) du Mans (Sarthe), Turonien de Tours (Indre-et-Loire), Sénonien de Sens (Yonne), Stampien (en latin Stampae) d'Étampes (Essonne).

Pour Alcide d'Orbigny, les limites entre étages sont si nettes qu'il écrit en 1849 que :

« Chacun des étages qui se sont succédé dans les âges du monde renferme sa faune spéciale, bien tranchée, distincte des faunes inférieures et supérieures, et que ces faunes ne se sont pas succédé par passage de forme, ou par remplacement graduel, mais bien par anéantissement brusque. »

Chaque étage a ses fossiles, et chaque fossile a son étage. Si la même espèce se retrouve dans deux étages, c'est qu'un mélange accidentel a eu lieu, ou qu'on n'a pas su distinguer les espèces, comme Alcide l'explique au paragraphe 47 de l’introduction du Prodrome de paléontologie stratigraphique universelle :

« Si nous trouvions dans la nature des formes qui, après l'analyse la plus scrupuleuse, ne nous offrirait encore aucune différence appréciable, quoiqu'elles fussent séparées par un intervalle de quelques étages (ce qui n'existe pas encore), nous ne balancerions pas un instant à les regarder néanmoins comme distinctes. Lorsqu'on voit toutes les formes spécifiques bien arrêtées avoir des limites fixes dans les étages, et appartenir à un seul, on doit croire que ce sont nos moyens de distinction qui sont insuffisants pour trouver les différences entre ces deux espèces d'époques éloignées qui se ressemblent. »

Lorsqu’Alcide d’Orbigny rejoint le Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, il y existe deux courants de pensée défendus respectivement par Cuvier et par Lamarck. Le premier défend la théorie des « révolutions de la Terre » qui conduira au catastrophisme et à la fixité des espèces, tandis que le second défend le transformisme qui sous-tend l’idée d’évolution des espèces.

Si Alcide d'Orbigny affirme qu'il n'existe pas de "remplacement graduel", c'est que, comme Cuvier et malgré Lamarck, il ne croit pas en l'évolution des espèces : lorsqu'une espèce disparaît, elle ne laisse pas de descendants transformés en d'autres espèces.  Cuvier en se basant sur certains fossiles,  démontrait l’existence  d'espèces disparues,  n'existant plus aujourd'hui, comme les Mammouths, parce que des catastrophes les avaient anéanties.

Nous avons vu qu’il limitait ces catastrophes et envisageait que telle ou telle zone épargnée ait servi à repeupler la Terre après chaque révolution, car il répugnait autant aux créations répétées que Lamarck aux extinctions brutales.

Poursuivant le raisonnement de Cuvier, d’Orbigny étend les cataclysmes à toute la Terre et, puisqu’il y a 28 étages, c’est qu’il y a 27 « révolutions du globe » ou extinctions totales, suivies de 28 créations nouvelles. Son cours de 1849 ne laisse aucune ambiguïté :

« Les animaux ne montrant, dans leurs formes spécifiques, aucune transition, se sont succédé à la surface du globe, non par passage, mais par extinction des races existantes et par la création successive des espèces à chaque époque géologique. »

Ce sont donc des centaines de créations séparées qu’il faudrait imaginer pour rendre compte de ces repeuplements successifs. Autant admettre une création continue !

Darwin lui-même reconnaîtra que cette rareté des formes intermédiaires pose problème aux évolutionnistes. En s'intéressant aux Ammonites plutôt qu'à d'autres Mollusques, d'Orbigny a su choisir un groupe particulièrement indiqué pour caractériser les étages successifs : comme on le découvrira bien plus tard, les Ammonites évoluaient très vite et ont plusieurs fois failli disparaître, d'où la rareté des intermédiaires. Quoi qu'il en soit, on l'a vu, Alcide avait une explication pour les exceptions qui se présenteraient.

De plus, il a eu le temps de s'en convaincre avec d'autres groupes. Entre le Primaire et le Secondaire, écrit-il dès 1840, « une première génération de Crinoïdes aurait entièrement disparu, pour être remplacée, plus tard, par une autre tout à fait différente ». Un an après : « les rudistes ont paru cinq fois à la surface du globe" » Dans un article de 1850, il ajoute :

« Comme on ne peut attribuer le retard de l'arrivée sur la terre des Mammifères à aucune autre cause physique également marquée pour les autres êtres, on doit croire qu'il dépend de la même puissance créatrice qui, avant cette époque, sans qu'aucune autre cause physique puisse être invoquée, avait déjà tant de fois repeuplé les mers et les continents de ses nombreux animaux. »

              

             c. Alexandre Brongniart (1770 – 1847)

 

Ce minéralogiste et géologue français rédige, en 1812, en collaboration avec Cuvier, une Description géologique des environs de Paris (refondue en 1822). Celle-ci est le résultat de ses travaux dans le bassin parisien et sont à la base de la paléontologie stratigraphique française : désormais, certains fossiles serviront de repères dans la subdivision des terrains sédimentaires. Il détermine la chronologie des terrains tertiaires, dans un ouvrage publié en 1829 : Tableau des terrains qui composent l’écorce du globe. Essai sur la structure de la partie connue de la Terre.

Alexandre Brongniart s’intéresse également à la zoologie. Il détermine la division de reptiles qu’il scinde en quatre ordres : les Sauriens, les Batraciens, les Chélonien et les Ophidiens.

 Lorsque Cuvier, le 21 janvier 1796, lit devant un aréopage de savants réunis à l’Institut National son mémoire sur les Eléphants fossiles où il annonce, à la stupeur et au scepticisme générales, l’existence de créations antérieures à la nôtre, détruites par des catastrophes, Brongniart aplaudit son mentor. A l’exemple de ce dernier, Alexandre Brongniart pense que l’Histoire de la Terre a été marquée par de grandes révolutions. S’il s’intéresse plus particulièrement à la dernière, c’est, contrairement à Cuvier qui en faisait le modèle des autres, parce qu’elle marque une coupure essentielle entre les terrains actuels et les terrains antédiluviens. Pour lui, il existe deux grandes périodes distinctes dans l’Histoire de la Terre : la « période jovienne » et la « période saturnienne ». La première est celle d’aujourd’hui, période de repos et de tranquillité des éléments, séparée de la précédente par « la dernière catastrophe générale du globe »[23].

Cette dernière catastrophe a provoqué par des soulèvements quasi instantanés, l’ensemble des chaînes de montagnes que l’on connaît actuellement. En effet, dit-il : « il n’est pas présumable que les Alpes, les Pyrénées, les Cordillères, etc., se soient soulevées pièces à pièces, et pour ainsi dire à petit bruit ; il est au contraire très-probable que la force qui les a élevées sur une même ligne, a agi à peu près dans le même temps d’un bout à l’autre de la ligne »[24].

Actuellement, la Terre est « dans un état de repos et de tranquillité »[25], tout différent de l’état antérieur.

 Brongniart est-il un catastrophiste ? Oui, mais d’une manière un peu particulière. Contrairement aux vrais partisans du Catastrophisme qui soutiennent l’existence de nombreuses révolutions dévastatrices de toute vie sur Terre, il ne distingue que deux période dans l’Histoire de la Terre, séparées par une catastrophe qui s’est passée il y a environ 4000 ans et peut correspondre au Déluge biblique.

 Brongniart admet également les destructions massives des êtres vivants durant cette période jovienne, mais ceux-ci ne fournissent pas de point de rupture comme chez Cuvier : dans un environnement hostile, ils ont continué à vivre. Certaines espèces ont pu disparaître, mais il n’y a pas eu de destruction totale. Dans ce raisonnement on peut déceler une certaine acceptation du Transformisme lamarckien.

A toutes les époques de sa vie, notre savant apparaît comme le type de naturaliste observateur, à la curiosité très générale et plus intéressé par les faits que par les théories. C’est cette attitude qui l’empêchera d’accepter le transformisme.

             

              d. Adolphe Brongniart (1801 – 1876)

 

Le botaniste Adolphe Brongniart est le fils d’Alexandre. Ses travaux botaniques (1830) l’on conduit à se poser les mêmes questions sur l’apparition des êtres, car « les conditions physiques du globe ne nous paraissent pas suffire pour expliquer la nature de la végétation »[26] des temps anciens, assure-t-il. Il en arrive également à la conclusion qu’il y a différentes époques avec des populations végétales bien déterminées qui sont anéanties à la suite de catastrophes globales, et que celles-ci sont suivies d’un repeuplement de nouvelles espèces. Pour lui, il existe « une autre cause que l’influence des modifications des agents physiques tels qu’ils se présentent actuellement à la surface de la terre », il y voit le déroulement d’un Plan créateur qui fait parcourir aux êtres des « phases » progressives[27].

 Comme d’Orbigny, Adolphe Brongniart considère que le monde végétal a été renouvelé à intervalles réguliers par des actes répétés du Créateur. Ce sont ceux-ci qui sont responsable du changement de décor végétal : « des genres ou des familles nouvelles viennent remplacer des genres et des familles détruites et complètement distinctes ; ou bien […] une famille nombreuse et variée se réduit à quelques espèces, tandis qu’une autre, qui était à peine signalée par quelques individus rares, devient tout à coup nombreuse et prédominante »[28].

 Pour expliquer ces changements, notre botaniste préfère se référer au Créationnisme plutôt qu’au Transformisme : « Au milieu de l’obscurité qui environne de semblables mystères et que notre esprit cherche en vain à percer, reconnaissons qu’il est moins difficile pour notre intelligence de concevoir que la puissance divine, qui a créé sur la terre les premiers êtres vivants, ne s’est pas reposée et qu’elle a continué à exercer le même pouvoir créateur aux autres époques géologiques, en imprimant à l’ensemble de ces créations successives ces caractères de grandeur et d’unité que le naturaliste encore plus que les autres hommes est appelé à admirer dans toutes ses œuvres »[29].

 Bien qu’il soit confronté au Transformisme qui gagne du terrain, surtout après la parution du livre de Darwin, Alphonse Brongniart reste un farouche opposant à cette nouvelle théorie.

 Il déclare « les théories de M. Darwin sur la transmutation des formes spécifiques [sont] inadmissibles et contraires aux faits observés ». Les plantes assure-t-il « ne se modifient pas en changeant de climat : une plante de la zone torride transportée dans le nord, ou même dans la zone tempérée, n’éprouve aucune modification dans sa descendance ; si le climat ne lui convient pas, elle ne se modifie pas, elle meurt »[30].

 Alphonse Brongniart se contente de cette déclaration et il restera obstinément attaché à sa vision créationniste du monde.

             

              e. Elie de Beaumont (1798 – 1874)

 

Le géologue français Jean-Baptiste Armand Louis Léonce Elie de Beaumont se situe dans la même mouvance que le savant précédent. Pour lui, les espèces sont stables et si elles varient c’est dans des limites très restreintes.

 La succession continue des faunes dans les couches géologiques ne peut être expliquée par le Transformisme et ni par les migrations chères à Cuvier et certains de ses disciples. Comme il est impossible de remonter d’une espèce à la précédente, il est également impossible de remonter à l’origine de la vie. Tout indique dans la Géologie qu’il y a eu un commencement, mais les indices ne suffisent pas pour en tirer les modalités et le moment et il sera « peut-être toujours impossible à l’homme de remonter jusqu’à la première formation de la planète qu’il habite »[31]. Cela n’empêche qu’Elie de Beaumont se pose ces questions, et qu’il propose, en 1850, le sujet du Grand Prix pour l’Académie des Sciences en demande que l’on étudie ce problème : « Lorsqu’une espèce semble avoir disparu et avoir été remplacée par une espèce peu différente, on peut se demander si cette dernière résulte d’une création nouvelle ou d’une transformation de l’espèce qu’on ne trouve plus »[32]

 Le nom d’Élie de Beaumont est connu du monde des géologues pour sa théorie de la formation des cordillères  proposée à l’Académie des Sciences et décrite dans trois volumes Notice sur le système des montagnes (1852). D’après cette théorie, toutes les chaînes de montagnes parallèles au même grand cercle[33] de la Terre ont le même âge, et entre ces grands cercles une relation de symétrie existe sous la forme d’un réseau pentagonal.

Il est également connu pour sa carte géologique de France dont il est le principal auteur.

            

             f. William Smith (1769 – 1839)

 

Le géologue britannique William Smith est le créateur de la première carte géologique de la Grande-Bretagne. Homme de terrain, il parcouru son pays pour faire de nombreux relevés lui permettant d’établir son œuvre. Il est considéré par Adam Sedgwick (1785-1873), l’un de ses pairs, comme étant le père de la géologie anglaise.

Sur l’origine des espèces, il exprime des points de vue assez semblables à ceux d’Alcide d’Orbigny. Il considère que le repeuplement de la Terre après chaque catastrophe est le résultat de créations successives qui ont lieu après chacune de ces « révolutions ». En cela, il est bien dans la tradition anglaise qui inscrit sa vision du monde dans le cadre de la théologie naturelle. Il sera rejoint sur ce terrain par ses éminents condisciples que sont : William Buckland (1784-1856)

William Daniel Conybeare (1787-1857), Adam Sedgwick (1785-1873), Roderick Impey Murchison (1792-1871)

 

Conclusions

 Les catastrophistes sont d’accord sur un point fondamentale : il y a eu des destructions complètes, suivies de créations entières après chaque dévastation.

 Ces créations répétées sont bien gênantes : pour les non-croyants, c'est un prodige inacceptable ; les croyants peinent à concevoir un Dieu qui s'y reprenant à plusieurs fois ; les évolutionnistes ont une autre explication.

 Deux courants de pensée s’affrontent à la suite des travaux respectifs de Cuvier et de Lamarck. Les savants de l’époque sont confrontés à un choix lorsqu’ils abordent le problème de l’apparition des espèces. Le botaniste Dominique Alexandre Godron (1807-1880) fait remarquer que les possibilités se limitent à deux systèmes « dérivés l’un du principe de la fixité des espèces, l’autre de la doctrine de la variabilité des êtres sous l’influence des agents extérieurs »[34].

 Nous aborderons la fois prochaine le Transformisme dont les prémisses nous mènerons à Lamarck.

 

 IV.   BIBLIOGRAPHIE

 

  • Buffon (XVIIIe s.) – De l’Homme – Histoire Naturelle, Vialetay, éditeur.

 

  • Cuvier Georges (1985) – Discours sur les révolutions de la surface du globe, Christian Bourgois éditeur, coll. « Epistémè »

 

  • Cuvier Georges (1817) – Le Règne animal distribué d’après son organisation, T. 1, Chez Deterville, Libraire (impression anastaltique)

 

  • Gagnebin Elie (s.d.) – Le Transformisme et L’origine de l’homme, F. Rouge & Cie S.A., Librairie de l’Université, Lausanne.

 

  • Gould Stephen Jay (1979) – Darwin et les grandes énigmes de la vie, Pygmalion, coll. « Points-Sciences ».

 

  • Gould Stephen Jay (1996) Comme les huit doigts de la main, Seuil.

 

  • Gould Stephen Jay (2000) – Les quatre antilopes de l’Apocalypse, Seuil.

 

  •  Gould Stephen Jay (2001) – Les coquillages de Léonard, Seuil.

 

  • Hooykaas R. (1970) – Continuité et discontinuité en géologie et biologie, Seuil

 

  • Laurent Goulven (1987) – Paléontologie et évolution en France 1800-1860, de Cuvier – Lamarck à Darwin, Editions du Comité des Travaux historiques et scientifiques.

 

  • Laurent Goulven (2001) – La naissance du transformisme – Lamarck entre Linné et Darwin, Vuibert/ADAPT, coll. « Inflexions ».

 

  • Lecointre Guillaume (sous la direction) (2009) – Guide critique de l’évolution, Belin.

 

  • Ostoya Paul (1951) – Les théories de l’évolution, Payot.

 

  • Rostand Jean (1932) – L’évolution des espèces, Hachette.

 



[1] Stephen Jay Gould – Darwin et les grandes énigmes de la vie, p. 158, Pygmalion, 1979.

[2] Stephen Jay Gould – Les coquillages de Léonard, p.303, Seuil, 2001.

[3]  Stephen Jay Gould – Les quatre antilopes de l’Apocalypse, p. 473, Seuil, 2000.

[4] Voir R. Six - De l’évolution des idées sur l’évolutionnisme, in Bulletin du G.E.S.T. – N° 143, mai 2007.

[5] Utilisé par Buffon dans le sens de « changement ».

[6] « Un traité de biologie humaine », p.viii-ix, in « De l’Homme », Buffon.

[7] ibid, p. ix-x.

[8] Ibid ; p.xii-xiii.

[9] « Discours préliminaire », in Journal de Physique, t. 46, 1798, p. 75.

[10] Ibidem, t. 62, 1806, p. 71.

[11] De Blainville - Ostéographie, t. 4, Palaeotherium, p. 5, cité par G. Laurent.

[12] D'après Prévost C, De la formation des terrains des environs de Paris, in Nouveau Bull. Soc. philomatique, 1825, p.75.

[13] Prévost C, Les continents actuels ont-ils été à plusieurs reprises submergés par la mer ? Dissertation géologique lue à l'Académie royale des Sciences dans les séances des 18 juin et 2 juillet 1827. In Documents pour l'histoire des terrains tertiaires, s.d.s.l., p.7.

[14] Essai sur la constitution physique... , in Journal de Physique, t. 91, 1820, p. 465 ; également in Documents...

[15] Documents pour l’Histoire…, p.238.

[16] Essai sur la constitution physique... Journal de Physique, nov. 1820 ; également in Documents... p. 217.

[17] Ibid.

[18] Ibid., p. 223.

[19] « Considérations géologiques et paléontologiques sur le dépôt lacustre de Sansan… », in C.R. Acad. Sc., t. 20, 1845, p. 320, cité par G. Laurent.

[20] « Extrait d’un Ouvrage sur les espèces de Quadrupèdes dont on a retrouvé les ossements dans l’intérieur de la terre… », in Journal de Physique, t. 52, 1801, p. 256, cité par G. Laurent.

[21] « Recherches sur les Ossements fossiles de Quadrupèdes », t. I, 1812, « Discours préliminaire », p. 37, cité par G. Laurent.

[22] Opus cité, p. xx-xxj.

[23] Tableau des Terrains, p. 122, cité par G. Laurent.

[24] Ibid., p. 60.

[25] Ibid., p.31

[26] Rapport sur les Progrès…, 1868, p. 212, cité par G. Laurent.

[27] Exposition chronologique…, in Ann. des Sc. Nat. Botanique, 3, t. 11, 1849, p. 295, cité par G. Laurent.

[28] Dict. Univ. Hist. Nat., art. « Végétaux fossiles », t. 13, 1849, p. 142, cité par G. Laurent.

[29] Rapport sur le Grand Prix…, in C.R. Acad.  Sc., t. 44, 1857, p. 220, cité par G. Laurent.

[30] G. de Saporta, « Etude sur la vie et les travaux paléontologiques d’Adolphe Brongniart », in Bull. Soc. Géol. Fr., 3, t  4, 1875-1876, p. 399, cité par G. Laurent.

[31] Explication de la carte géologique…, t. 1, p. 50, cité par G. Laurent.

[32] Grand Prix des Sciences physique proposé en 1859, pour 1853, in C.R. Acad. Sc., t. 30, 1850, p . 258-259, cité par G. Laurent.

[33] En géométrie, un grand cercle est un cercle tracé à la surface d'une sphère qui a le même diamètre qu'elle. Sur Terre, les méridiens et l'équateur sont des grands cercles.

[34] « De l’espèce considérée dans les êtres organisés, appartenant aux périodes géologiques qui ont précédé celle’ où nous vivons », in Mém. Soc. Des Sc., Lettres et Arts de Nancy, 1848, p. 382-383, cité par G. Laurent.


10/05/2011
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