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Nous avons appris le décès d’André Delmer à l’âge de 99 ans. Il était l’un de nos membres d’honneur. J’ai fais sa connaissance lors d’un colloque dans les années 1980. Il m’y fut présenté par notre président fondateur Bernard Ducarme, répétiteur à la chaire de géologie de l’ERM. Immédiatement, je fus sous le charme de cet homme grand de stature et attentif à votre propos. Par la suite j’ai pu apprécier sa grande humanité et sa modestie. Chaque année, tant que sa condition physique le permettait, il nous entraînait dans une balade géologique d’un haut niveau d’intérêt. De plus, lorsque j’ai pris la fonction de président, il m’a toujours encouragé dans mes démarches et trouvait les mots qu’il fallait pour valoriser notre action de vulgarisateur des Sciences de la Terre. Un grand homme qui fit progresser notre connaissance de la géologie belge et surtout du bassin houiller du Borinage. Pour lui rendre hommage, je me permets de reprendre l’éloge qu’en a fait Eric Groessens également l’un de nos membre d’honneur.

Rober Six, président

DELMER André, Marie, Joseph, C. : °18-03-1916 - +14-08-2015

Quelques mois avant de fêter son centenaire, le monde scientifique apprenaît le décès d'André DELMER, qui fut un des principaux innovateurs des connaissances sur la géologie de la Belgique pendant la deuxième moitié du XXe siècle. Raconté la vie et l'oeuvre d'André DELMER est un travail difficile car, si l'homme fut illustre, il était surtout modeste et généreux, peu enclin à se dévoiler et toujours disposé à refiler à ses collaborateurs les lauriers qui lui revenaient.

Il était né à Ixelles, le 18 mars 1916.

Fils d'Alexandre DELMER (1879-1974), Ingénieur des Mines, Secrétaire général du Ministère des Travaux publics et professeur à l'Université de Liège, et de Jeanne Wouters. On surnomma Alexandre DELMER, le "père du canal Albert", ouvrage dont il fut l'initiateur et la cheville ouvrière (Le Nouveau Dictionnaire des Belges, 1998). La Grande Histoire retiendra de lui qu'il présida, avec brio, le Comité des Secrétaires généraux qui dirigèrent le pays pendant la Seconde Guerre Mondiale. En ce qui concerne la géologie, il écrivit, entre autres, dans les Annales des Mines "La question du minerai de fer en Belgique" (1913) qui reste un ouvrage de référence.

Ils eurent deux fils, Jean et André et trois filles Marie-Thérèse, Marie-Jeanne et Madeleine. Les deux dernières citées sont rentrées dans les ordres, la première chez les Dominicaines et l'autre chez les Bénédictines et cette dernière est la dernière de sa génération.

Il était marié à Simone Mayence (28-06-1920 - 19-09-2010) enseignante de langues anciennes, fille de Frenand Mayence (1879-1959) célèbre archéologue, professeur à l'Université catholique de Louvain et membre de l'Académie royale de Belgique. Mayence participe aux fouilles de Délos (Grèce) et y dégagea la maison de Dioscorides et de Cléopâtre. Il dirigea l'équipe d'archéologues belges sur les ruines d'Apamée (Syrie) et fut l'auteur de nombreux ouvrages. Il fut membre et présida l'Académie rOyale de Belgique.

André DELMER et son épouse avait une fille unique - Marie-Jeanne - qui épousa Pierre Vandenbosch et ils ont quatre enfants, François, André, Nicolas et Pauline.

Après des études primaires à l'école Saint-Jean Baptiste de La Salle, à Schaerbeek (1926-1929), A. DELMER fit ses humanités greco-latines au Collège Saint-Michel de Bruxelles (1929-1935).

Il entreprit ensuite des études d'Ingénieur civil des Mines à l'Université de Louvain où il fut l'élève de Félix Kaisin (1935-1940) pour lequel il témoignait beaucoup d'admiration et qui fut probablement à la source de sa passion pour les phénomènes tectoniques.

Il débuta sa carrière professionnelle comme ingénieur au Charbonnage André Dumont à Waterschei (1940-1941) puis fut tenté par l'Administration des Mines. Il passa le concours d'admission au stage en qualité d'ingénieur au Corps des Mines (1941-1942) et l'examen d'admission définitif le 01-05-1945.

Il effectua son stage au 2e arrondissement des Mines de Mons et fut chargé de l'identification d'un gisement exploité par le Charbonnage Grand Hornu à Boussu. Le travail effectué fut hautement apprécié par Armand Renier (1876-1951), alors directeur du Service géologique de Belgique qui sollicita et obtient le transfert de M. DELMER dans son service en 1942.

Il fut détaché définitivement au Service géologique le 01-12-1945, et, pour le reste de sa vie, et jusqu'à son dernier souffle, il restera attaché à l'étude de l'allure tectoniques des gisements houillers du Hainaut.

En 1950, à la demande du Recteur de l'Université de Louvain, M. DELMER est chargé de la suppléance des cours de Félix Kaisin Jr. Malgré les nombreuses sollicitations dont il sera l'objet, il refusera toujours de postuler à un poste académique. Il professa cependant pendant de nombreuses années le cours de paléontologie et de cristallographie aux étudiants de l'Ecole industrielle supérieure Reine Astrid de Mons qui fournit des ingénieurs techniciens en Géologie et en Travaux publics. c'est probablement une charge qu'il avait accepté au début de sa carrière professionnelle entamée à Mons et à laquelle il voulait rester fidèle. Sa carrière à l'Administration des mines suivait son cours : Ingénieur principal des mines (01-07-51) ; Ingénieur principal divisionnaire des mines (01-02-56) ; Ingénieur en chef - Directeur à la Division du Bassin de Liège - Détaché au Service géologique pour une période indéterminée (01-05-59).

Dès le début de 1962, A. Grosjean (1903-1971), qui avait succédé en 1943 à Armand Renier comme chef de service du Service géologique, demandait d'être déchargé, pour des raisons de santé, des soucis de la direction du Service géologique. A partir de cette date, A. DELMER exerçait pratiquement la direction du service et en 1966, le Directeur général des Mines transféra officiellement A. Grosjean à la Division de Liège (en remplacement de DELMER qui occupait officiellement ce poste) et le 15 juin de la même année, A. DELMER fut chargé officiellement de la direction du Service géologique.

Lors de la réforme du cadre du Service géologique du 17-01-1974, A. DELMER qui faisait fonction d'Inspecteur général depuis le 19-02-1973, fut officiellement investi de ce titre le 01-07-1974. Le cadre était augmenté de ce poste mais également de deux postes supplémentaires de géologues en chef-directeurs; les trois postes furent occupés par Jean-Marie Graulich (1920-2001), Robert Legrand (1917-1986) et Marcel Gulinck (1917-1976). En outre, six nouveaux emplois de géologues étaient créés. Grâce à A. DELMER, le Service géologique passait donc de 6 à 15 géologues.

Ensuite, il vit défiler nombre de jeunes géologues qui purent parfaire leur expérience sous sa direction et prendre leur envol vers le monde universitaire ou industriel. Le Service géologique a aussi acquis, sous sa direction, une véritable renommée internationale, car ses collaborateurs étaient présents sur tous les terrains et participaient ou organisaient régulièrement des colloques et des congrès internationaux. Citons en 1963, le Congrès sédimentologique international et en 1974 l' "Internatinal Symposium on micropaleological limits, from Emsian to Visean".

Le 18-03-1981, A. DELMER cessa ses activités à l'Administration car admis à la retraite et suivant la formule en vigueur à l'époque , M. DELMER était autorisé à porter le titre honorifique de son grade et à en revêtir l'uniforme". Le même jour, Robert Legrand quittait également ses fonctions pour raisons personnelles et la direction du service fut assurée ad interim pendant quelques années par J.-M. Graulich.

A. DELMER avait une haute opinion de sa fonction de Directeur du Service et a, de ce fait, constamment défendu l'autonomie de ce service face aux diktats de fonctionnaires de l'Administration des Mines qui voulaient s'immiscer dans son fonctionnement. Il a toujours défendu le personnel de son service avec la plus grande vigueur et la plus grande humanité. C'est un travailleur acharné. Avant son mariage, il lui arrivait régulièrement de passer la nuit entière derrière sa table à dessin, un cigarillo à portée de main. Plus tard, après une longue journée au bureau, il quittait le bâtiment en emportant chez lui quelques revues étrangères, car il était aussi le bibliothécaire du service, et le lendemain il recommandait à ses collaborateurs la lecture de l'un ou l'autre article. Sa générosité était proverbiale et se manifestait discrètement, tant dans sa vie professionnelle que sa vie privée. Il obtint en 1978 le Prix Léopold von Buch accordé par la "Deutsche Geologische Gesellschaft" qui lui fut remis à Aix-la-Chapelle. Ce prix est généralement considéré comme la plus haute distinction destinée à un géologue et souvent désigné comme le "Nobel des géologues".

Il fut, pendant de longues années, Secrétaire général (1956-1969) et bibliothécaire de la Société belge de Géologie dont il assuma la présidence en 1976-1977. A l'occasion de son départ à la retraite, la Société belge de Géologie organisa en son honneur une journée d'hommage dont les communications sont publiées dans deux bulletins successifs. Le Comte d'Aymard d'Ursel fit à cette occasion un éloge de A. DELMER (Bull. Soc. belge de Géologie, 1984, t. 93, fasc. 1-2, pp 9-10) qui commence par ces mots : "Personnalité afable, d'une courtoisie délicate, jamais impatient, toujours attentif, tel apparaît M. André DELMER aux nombreux visiteurs du Service géologique".

"Servir était sa devise. De l'Etat il est un serviteur peu commun, sachant s'insurger courtoisement, mais fermement contre tout ce qui pouvait porter atteinte aux prérogatives de la nation, comme son père, il est le grand commis dans toute l'acceptation noble que comporte ce titre. Représentant de notre pays auprès d'institutions internationales, il n'accepte jamais que des portions congrues nous soient dévolues, bataillant sans cesse jusqu'à ce que l'équipe triomphe. Laissé parfois après des mois de combats et de palabres, défendant la science, sa potentialité, son devenir, jamais il ne s'est découragé, il remettait cent fois sur le métier, et ne laissait nulle place où sa personne passait et repassait".

Mathématicien redoutable, il ne craint pas de mettre en équation les problèmes posés par la nature afin d'en percer plus sûrement les secrets.

Chercheur, il n'a de cesse que lorsque le pourquoi et le comment est élucidé ; n'est-il pas la cheville ouvrière et l'inspirateur de la campagne des sondages profonds et des campagnes géophysiques ? A ce titre, il restera dans la mémoire de tous comme le découvreur de l'anhydrite de Saint-Ghislain, le père de la géothermie hennuyère, l'instigateur du stockage du gaz dans le sous-sol et des campagnes de prospection charbonnière en Campine et, peut-être demain celui d'autres découvertes importantes. On lui doit, entre autre, la découverte de la répétition du houiller de Campine par une faille transversale qu'il avait nommée "l'énigme de la réserve B" et qui fut appelée plus tard la Faille de Donderdag. Jusqu'à la fin de sa vie, il maîtrisait les connaissance sur le bassin houiller du Hainaut jusqu'à la Basse-Sambre, et développait des hypothèses originales pour en expliquer la structure complexe. En 2010, il diffusa une brochure, de 26 pages et 14 figures, intitulé "Le sillon houiller de Haine-Sambre-et-Meuse". L'année suivante à l'âge de 95 ans, il édita une nouvelle brochure amplifiant la précédente et intitulée "L'orogenèse varisque dans le sillon houiller de Haine-Sambre-et-Meuse" de 33 pages et 16 figures. Elle fut ensuite publiée dans le cadre des "Professional Papers" du Service géologique, revue qu'il avait créé pour permettre la diffusion des travaux de ses collaborateurs.

Le directeur du Service géologique était de droit le secrétaire du Conseil géologique et c'est à ce titre qu'il institua les Commissions nationales de Stratigraphie qui furent à la base du renouvellement de la légende de notre Carte géologique et d'une approche innovante de cette discipline en Belgique. Il exerça de nombreuses autres fonctions officielles au sein de divers organismes nationaux et internationaux. Il fut membre du Comité belge des Grands barrages et du Comité de Gestion de l'Institut géographique national. Il était également excellent vulgarisateur et les sociétés de géologues amateurs n'hésitaient pas à faire appel à lui comme orateur. Il devint membre d'honneur d'une association regroupant des passionnés de géolgie le "Groupe d'Etude des Sciences de la Terre".

Il était membre honoraire de la Commission royale des monuments et sites de Belgique (1983-1989). Ses contributions à l'Histoire de la Géologie sont également nombreuses et fondamentales. Il a rédigé des dizaines de notices biographiques de collègues décédés, et cette année encore, il a rédigé celle concernant son collaborateur et ami Robert Legrand, notice qui devrait paraître dans le prochain volume de la "Biographie nationale".

Le 8 janvier 1983, il fut élu membre correspondant à l'Académie royale de Belgique et devint membre effectif le 11 janvier 1992 et Président de l'Académie et directeur de la Classe des Sciences et président en 1996. Il était aussi membre du CAPAS (Comité de l'Académie pour les Applications de la Science).

Il fut élu en 1995, membre d'honneur de l'Académie Lorraine des Sciences.

A la fin des années 50, le Service géologique de Belgique exécutait un sondage à Soumagne dans lequel à la profondeur de 1237 m Jean-Marie Graulich et André DELMER découvraient une aile d'insecte que Daniel Laurentiaux leur dédia sous le nom de Graulichia delmeri.

En 2004, Marie Coen-Aubert lui dédia une nouvelle espèce de rugueux du Givetien supérieur nommé Themnophylium delmeri.

Nous avons signalé plus haut qu'A. DELMER était un mathématicien passionné et un théoricien redoutable. Nombreuses sont les hypothèses qu'il a formulées et les systèmes qu'il a construits, nul doute que pendant de nombreuses années encore la géologie belge profitera de cet acquit pour faire avancer les connaissance de notre sous-sol.

E. Groessens

Tiré du "Miscellanea Geologica" septembre 2015